Ce roman raconte l’histoire de Christian, un homme marqué par un drame familial, qui entreprend une quête de sens dans une Bulgarie fracturée par les conflits sociaux et les luttes nationalistes, mêlant intimement introspection et soubresauts historiques.
Ce livre vous entraîne dans une odyssée épique, des ruelles de Marseille jusqu’aux sommets majestueux de la Bulgarie. Christian, un homme hanté par ses blessures et ses choix, embarque dans un voyage initiatique grâce à une rencontre fortuite avec Ivan Vazov, homme de lettre bulgare.
Ce roman explore avec finesse les échos de la guerre, cette période de bouleversements politiques qui ont façonné les Balkans au tournant du XXe siècle.
À travers les récits historiques des héros de cette époque, Christian découvre une humanité résiliente, prête à se battre pour la liberté et l’identité, mais aussi les conséquences douloureuses des conflits.
À mi-chemin entre quête personnelle et fresque historique, Dans l’ombre de Sofia est un hommage à la force de l’âme slave, à la nature indomptable des Bulgares et aux luttes humaines intemporelles.
Une histoire où les lacs du Rila et les vestiges des guerres passées deviennent les métaphores d’une renaissance intérieure.

Cette guerre ne cessera jamais. Ma tête et mon corps se brisent à chaque kilomètre parcouru. Chaque nouveau choc effrite un peu plus mon esprit. Chaque pas m’éloigne un peu plus de chez moi, et me transforme en coquille vide, coquille qui a embrassé sa mère pour la dernière fois il y a une éternité de cela. Je suis crispé à n’en plus pouvoir. Qu’est-ce qui arrivera en premier ? La balle qui me prendra ma vie ? Ou ma dernière chance de rédemption ? Je ne suis plus certain de qui je suis, ni de ce que j’étais avant de poser le pied sur ce champ de bataille. Les images de ma jeunesse, de ma famille, se dissipent. Je ne suis plus qu’un fantôme devant la cruauté sans bornes que nous infligeons à ce monde et à nous — mêmes. Chaque visage que je croise, chaque cri que j’entends, me rappellent que l’humanité que j’avais autrefois se décompose. Hier, j’ai vu une chose qui m’a glacé, une vision qui hantera mes nuits jusqu’à la fin de mes jours, qu’ils soient comptés en heures ou en années. Nous étions en marche à travers un village. Un autre de ces lieux oubliés par Dieu, dévoré par la guerre, où tout s’effondre sous le poids de la haine. Nos ordres étaient clairs : avancer, toujours avancer, et laisser derrière nous une terreur qui dissuaderait quiconque de lever la main contre la Bulgarie. Je me rappelle la fumée, noire et dense, montant des décombres. Mes camarades, exécutaient des gestes devenus mécaniques, sans plus aucune réflexion.
C’est alors que je l’ai vu. Un enfant, pas plus vieux que huit ans, tentait de fuir. Ses petits pieds nus martelant la terre brulante et dure, ses yeux remplis de terreur. Il n’était rien de plus qu’un innocent que cette folie aurait dû épargne. Mais la guerre ne pardonne pas, et la pitié a déserté nos cœurs depuis longtemps. Un soldat serbe surgit de nulle part, le visage contraint par la haine, une haine que je ne comprenais plus, que je ne voulais plus comprendre. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, avant que je ne puisse faire un geste pour l’arrêter, il leva son fusil. Un tir, juste un tir, qui résonna contre les murs. L’enfant s’effondra, une tache s’étala lentement sur sa chemise déchirée. Je me tenais là, paralysé, incapable de réagir, alors que le corps de ce bambin, ce petit être si fragile, si innocent, cessait de bouger. Ses yeux, grands ouverts, fixaient le ciel. Mais je sais qu’il ne voyait plus rien, une vie qui s’arrête en un instant, une lumière éteinte pour toujours, sacrifiée sur l’autel de cette guerre insensée. Je ne me rappelle plus combien temps je suis resté là après avoir tué ce soldat, égorgé par la lame de mon, couteau, tandis que les autres militaires de mon régiment continuaient leur chemin. Mais moi, je ne pouvais pas bouger, je ne pouvais pas m’éloigner. Je voulais crier, je voulais pleurer, mais les larmes ne venaient pas. Il ne restait que le vide, un vide qui m’engloutissait. Ce garçon aurait pu être mon frère, mon fils, un voisin que j’aurais croisé dans un autre temps, dans une autre vie. Mais dans ce monde brisé, il n’était qu’un corps parmi tant d’autres. Je me demande si je pourrais encore me regarder dans un miroir sans voir ce visage, ces yeux qui me fixent, me jugeant pour ce que je n’ai pas fait. Je ne sais plus pourquoi je suis ici, ni pourquoi je me bats. Je ne ressens plus que le poids écrasant de la culpabilité, cette honte qui me gangrène et qui me rappelle que je suis encore vivant, mais que je suis mort de l’intérieur. Je ne sais pas combien de temps encore je pourrai supporter cette charge, ni combien de temps je tiendrai avant de tomber. Mais ce que je sais, c’est que je ne pourrai jamais oublier cet enfant, ni effacer l’image de son petit corps étendu dans la poussière. Cette guerre m’a volé bien plus que ma jeunesse.

Miroslav Yordanov, 18 ans, 1re Classe, Seconde Guerre Balkanique, le 5 juillet 1913.