Corinne vient d’apprendre le décès de l’aide-soignante qui travaillait dans l’EHPAD de la commune dont elle est maire par intérim. Déjà plus de 30 décès de résidents dans cet établissement. Elle est passée sur toutes les chaînes de télévision quand elle a fait cet appel vidéo sur Facebook et que l’établissement a été placé sous tutelle, mais la série macabre a continué… Elle a eu envie de démissionner pour montrer sa révolte contre cette euthanasie collective.
De toute façon dans quelques jours elle doit laisser la place à celle qui a gagné les élections le 15 mars, Mme La Vice-Présidente du Conseil Départemental. Corinne était contaminée par le COVID-19, elle avait dû stopper brutalement sa campagne 15 jours avant le scrutin. Mais le COVID-19 ne peut pas être à lui seul responsable de cette défaite.
Dans la plupart des communes c’est le maire sortant qui a été réélu, alors comment dans celle-ci, cette charmante jeune maire dynamique a-t-elle été stoppée net dans son élan ?
Pour le comprendre et l’assimiler, Corinne retrace la chronique de sa défaite, puis elle nous explique comment malgré la maladie et l’échec, elle a fait face à la situation de crise sanitaire inédite que notre pays traversait et assumé ses missions de maire jusqu’au bout du confinement.

Extrait
PRISE DE CONSCIENCE

« On est samedi soir, demain c’est le grand jour !
Je saurai enfin si je peux poursuivre mes actions.
Soudain, cet éclair de lucidité m’apporte la réponse.
Non, quoi qu’il en soit, demain je ne gagnerai rien.
Je ne sais pas si le tirage de cette tombola sera à mon avantage.
Je sais que très peu se déplaceront pour aller voter.
Et certainement pas les personnes âgées avec lesquelles j’ai tellement de partages et d’affection. De toute façon, j’ai envie de leur crier à toutes et à tous de ne pas venir. Mais comment faire ?
Encore une fois, je suis là dans mon lit, totalement impuissante face au danger qui menace mes administrés. J’aimerais pouvoir les alerter mais je n’ai plus le droit de m’exprimer depuis la veille. Ce sont les règles électorales, si je les enfreins je risque l’annulation de mon élection, déjà que je ne suis plus vraiment sûre de gagner, ça m’embêterait d’avoir un recours.
Lorsque le Président Macron a annoncé qu’il maintenait le premier tour des élections, j’étais soulagée. Je n’imaginais pas pouvoir trouver la force de prolonger cette campagne. Pas question de poursuivre la violence des attaques qui se succédaient inlassablement. Je ne pouvais plus continuer ces échanges de tracts destructeurs. J’étais tellement fatiguée de tout cela. J’avais l’impression de n’être plus qu’une machine qui ne visualisait que la victoire. Et ce soir-là, d’un coup tout m’est apparu.
Le grotesque de nos documents, mon acharnement à vouloir répondre qui allait peut-être me faire perdre, ou le ras-le-bol des Valdoyens qui suivaient tous ces échanges de balles à distance en se demandant jusqu’où cela allait continuer. Qu’est-ce qu’ils allaient encore bien pouvoir découvrir d’un côté comme de l’autre ?
Qu’est-ce qui était vrai, qu’est-ce qui était faux ? Le doute s’était installé parmi les Valdoyens, sans que je m’en aperçoive. Plutôt que de rassembler les cœurs, j’avais déclenché de la haine contre moi en leur renvoyant leurs attaques. Je n’aurais jamais dû rentrer dans ces jeux-là.
Je craignais tellement que les Valdoyens croient en ces mensonges, que j’ai fini par les lasser, je me suis perdue en route… pas longtemps, juste l’espace de quelques semaines. Malgré la campagne qui battait son plein et toutes les préoccupations que je pouvais avoir en mairie, j’essayais d’accorder de l’attention à ma fille qui vivait la souffrance de perdre comme un frère.
Pendant des mois, je tentais de lui parler en toute franchise sur les risques qui menaçaient Loïs. Je ne lui ai rien caché. Elle n’aurait pas supporté qu’on lui dissimule des choses. Elle est devenue experte à 9 ans en matière de pneumothorax et circulation extracorporelle.
Quelques jours avant le décès de Loïs, elle était de retour de Paris, très heureuse d’avoir pu lui rendre visite. Elle a partagé ce moment à l’école avec son institutrice. Elles ont alors prévu de réaliser en classe des dessins pour l’anniversaire de Loïs, le 17 février. Malheureusement, la maladie l’emportera quelques jours avant son anniversaire. Le dessin de Lilla pour Lois s’est transformé en dessin d’adieu qui l’a accompagné dans sa dernière demeure… »