Je suis un lecteur assidu et passe volontiers mon temps à cette oisiveté délicieuse, vagabonde et questionnante qu’est la littérature… J’ai écrit ce livre pour faire état de ce que fut ma vie lorsqu’une tumeur de plus s’est manifestée dans mon cerveau, je me pensais alors condamné et avais la volonté ferme de déposer les armes. Cette rédaction avait vocation de laisser une trace de ce que fut mon enfance et ma jeunesse.

Mes inspirations sont les grands chefs d’œuvres autobiographiques d’auteurs que tout un chacun a en tête mais que j’aurais l’humilité de taire, car ils ont juste été des phares pour guider mes pas dans la tourmente de l’écriture de ma modeste histoire. Ce récit est singulier autant que mon vécu puisse l’être et il s’affranchit de modèles, ils sont juste évanescents autour de moi, comme des figures référentes, mais ne guident pas ma plume, je ne peux me réclamer de quelques filiation que ce soit.

Ce récit s’adresse donc à toutes générations : de l’adolescent qui remet en question son éducation et fait face à certains dangers transgressifs et contestataires, aux parents qui transmettent le pathos qu’ils tiennent des leurs et enfin, aux grands-parents sources originels de toutes les transmissions contaminés…

Extrait

Dans l’ennui fermenté de ses journées isolées et désociabilisées, elle m’imposait quotidiennement des dictées. J’entrevois aujourd’hui que cela représentait pour elle des rites d’échappatoires à ses abnégations écœurées. J’étais vouté sur mes cahiers, appliqué et hésitant. A chaque faute d’orthographe malencontreuse, elle me frappait la tête comme l’on enfonce un piquet. Pour planter les accents, les parures du pluriel, le vocabulaire conforme, la ponctuation juste. A coups d’un vache de marteau en bois dentelé, émérite en fractures de coques de noix. Elle se servait à l’exaspération convulsive dans un pot de cuisine en grès blanc. Tressautant sur elle-même de colère. Ce pot était décoré joliment d’un motif provençal enjolivé d’une petite cordelette délicate. Le solide marteau avait les faveurs des dictées. Je crois qu’elle tapait sur son couple aux amarres érodées, tapait sur les traites nouvellement engagées sur 25 ans, tapait sur son isolement besogneux, tapait sur le récurage incessant et quotidien auquel la vaste demeure la contraignait, tapait encore sur une époque qui lustrait les hommes en cravate pendant que les femmes lustraient les sols à genoux. Pourtant, maman tapait sur mon crâne, tapait par déplacement sans que cela ne l’apaise jamais. Cette brutalité déchainée fut pour moi aussi surprenante qu’inédite. Ma mère n’avait jamais levé la main sur moi auparavant. J’étais désorienté autant qu’abasourdis et pleurais doucement pour ne pas attiser son feu ni procurer ne serait-ce qu’un infime prétexte supplémentaire, à cet emportement nouveau, entier, possédé.

J’appris en même temps que les règles du Bled et du Bescherelle, la violence sans raisons objectives. Je ne pouvais soutenir son regard. Elle pesait sur mes six ans de ses yeux d’acier, dents serrées, le menton tremblant… J’aurais pardonné un mobile, un sens à tout ça, un caprice fumeux à se rouler par terre de désespoir feint. Gesticulant et chouinant pour rien, braillard enquiquineur pour une glace vanille – fraise ou un Kinder. Une appétence de Centre Commercial qui prend en otage le parent et leur vient, aux geignards importuns, comme un éternuement et dont une gifle en asphyxierait l’insolence tapageuse. « Certainement pas en public, nous sommes des individus civilisés. »