Brigitte Vivien nous invite à plonger dans son tout nouveau livre intitulé Une ligne de neige, Trois perles de sang : douze nouvelles où l’étrange se mêle à l’excentricité, où l’invraisemblable côtoie la réalité, où le raffinement flirte avec l’impertinence, le tout au rythme d’intrigues captivantes. Mais ne croyez pas que tout est blanc comme neige, car ces histoires sont belles et bien teintées de sang. Avec déjà plus d’une vingtaine d’ouvrages et des livres jeunesse illustrés à son actif, Brigitte Vivien délivre ici ses dernières nouvelles dans un style incisif et élégant, teinté d’humour noir.

Extrait de la nouvelle « Signé Violette » dans Une ligne de neige, Trois perles de sang

” La pénombre ouatée étale ses ombres loin des halos des lampadaires. Les volets sont clos. Bayeux dort encore sous une fine pellicule de neige. Le froid de la nuit fige les êtres et les choses dans une stupeur monacale à cette heure tardive pour les couche-tôt ou matinale pour les fêtards. Sous une capuche de moine, une silhouette se hâte, les mains rétractées dans les poches de son long manteau noir. Les pneus d’une voiture pressée, dont la radio éructe un rythme de hard-rock endiablé, crissent soudain sur le bitume blanchi. À l’instant où l’ombre noire traverse la chaussée glissante, elle a juste le temps de se projeter en arrière pour éviter la folle équipée du conducteur. Un lampadaire salvateur accueille ses mains gantées qui s’y accrochent. Dans le silence retrouvé de la place du Québec, on entend à peine un juron vite étouffé. Puis d’un pas silencieux et saccadé comme un automate mu par quelques fils invisibles, la longue forme sombre se dirige vers l’Aure, franchit le pont sans un regard vers ses eaux chargées, aborde la rue Larcher déserte qu’elle longe avant de se perdre un instant dans le parking, place de l’hôtel de ville. Elle se retourne soudain, haletante. A-t-elle perçu des bruits suspects dans ce calme nocturne, qui mettent son instinct en éveil ? Ses yeux glacés fixent à travers les rafales de neige la lune morcelée de cristaux puis scrutent les ténèbres à l’angle de la rue. Deux jeunes noctambules frigorifiés dans leur blouson se pressent de rentrer pour se mettre sous la couette. Ceux-là se lèveront vers midi. Les flocons se font plus denses et virevoltent autour du personnage inquiet. Avec résolution, il reprend sa marche rapide, tête baissée vers des traces de pas qui commencent à s’estomper devant lui. Un mur de blancheur opaque s’étire maintenant devant cette forme dansante, dont les pans agités de la pelisse obscure s’écartent, pareils à deux ailes spectrales. Le contraste est saisissant mais l’effet que des braves gens pourraient ressentir en la croisant la laissent de marbre. Elle approche de la rue Quinquangrogne où vit celle sur laquelle elle a jeté son dévolu. Elle l’aperçoit soudain à vingt mètres mais… elle n’est pas seule ! Comme une créature indéterminée, l’ombre hésite, s’approche encore, inspecte les environs et se dissimule derrière un grand tilleul. De là, elle guette. Dans l’encoignure d’un porche, un type rondouillard sous sa parka matelassée, embrasse la jeune fille avec fougue. Sans le lâcher, celle-ci descend la fermeture éclair de son pantalon, se baisse et pratique une brève fellation qui semble procurer au type un tel plaisir qu’il se met à jurer en la serrant jusqu’à l’étouffer.”