« Les heures délicieuses », petit roman « feel good », rassemblent les portraits bigarrés d’une famille aux membres insolites et foutraques.
Elles nous invitent à découvrir ou redécouvrir la légèreté et l’insouciance si particulières à la fin des trente glorieuses, mêlant scènes de la vie quotidienne et imaginaires.
Véritables reflets d’une époque libre et fantaisiste, ces « heures » sont comme des instantanés de la vie, légers et drôles, des instants de la mémoire qui renaissent le temps d’une lecture. Des moments tendres et bienveillants à picorer et à partager lors d’une lecture ensoleillée.

Extrait

L’influence de l’école était persistante, nous étions coiffées en rang et les souliers de toute la famille étaient également alignés sur le carrelage de la cuisine avant la sacro-sainte séance de cirage.

Autre rituel d’avant mariage : les chaussures devaient avoir l’air « toutes neuves » et scintiller comme des diamants. C’était la tâche de mon père. Après avoir lavé son véhicule sous toutes les coutures, fait briller les chromes des enjoliveurs et des poignées de portières, passé la peau de chamois sur l’ensemble de la carrosserie, « fait les vitres » et passé l’aspirateur à l’intérieur son « auto », il allait maintenant s’occuper des souliers . Les autos, les souliers étaient élevés au rang de passions !

Sous l’évier de la cuisine, un placard renfermait une boite en bois sans couvercle, qui contenait des tubes et des boites de cirage Barane, noir et incolore, des vieilles chaussettes pour passer le cirage et des brosses pour faire briller les mocassins, les escarpins, les talons des sandales. Mon père disposait tout ce matériel au sol, également en rang, pour amorcer un ballet de bras, de coudes, et de mains, tenant une chaussure dans l’une, frottant de l’autre, l’observant simultanément, la faisant virevolter vers le haut, vers le bas, l’inclinant pour être certain d’avoir la bonne lumière, celle qui permettrait de vérifier le rendu de la brillance et d’un reflet magique.

Je vous laisse imaginer cette gestuelle qui tenait autant de l’homme-orchestre, que du laveur de carreaux. Avec des « ah », des « oh », des « regardez comme elles sont belles, c’est sur elles n’ont jamais été aussi belles ! ». A chaque chaussure, nous échangions des regards complices avec ma mère qui déjà très tôt dans mes souvenirs nous laissaient au bord du fou rire, car, en plus, il était nécessaire, que nous y allions de notre compliment, chacune, tour à tour. Puis un grand :« Elles sont revenues comme neuves ! ». Phrase conclusive, à laquelle donc, il ne restait rien à ajouter. Cela signifiait qu’elles étaient redevenues impeccables, même si l’expression ne manquait pas de nous laisser imaginer, des chaussures parties toutes seules faire un tour, frappant à la porte après être de retour de leur balade, totalement rénovées.