Je suis une trentenaire originaire du Pays basque, où j’ai un restaurant. Entre drôles de mésaventures et autres péripéties, à force de persévérance, je livre ici le portrait d’une jeunesse dans laquelle il est difficile de se (re)trouver lorsqu’on ne rentre pas dans les rangs.

Extrait

Léonard souriait sur le trajet. Pris d’une soudaine envie de profiter du ciel bleu avant de rentrer, il bifurqua vers le marché. Il déambulait entre les allées, jetant çà et là des coups d’œil distraits. Absorbé par ses chimères, rapporter de quoi déjeuner ne l’effleurait guère. Il flottait parmi cette foule qui grouillait, resta ébahi devant des poules en furie, ralentit au niveau de la poissonnerie. Un brochet, la mâchoire écartée par un citron, le fixa, menaçant. Une fois à l’extérieur, culpabilisant de n’avoir rien acheté, il rebroussa chemin et s’exécuta. Chez le premier marchand, un primeur, il sélectionna des tomates, des oignons, des courgettes, une papaye. Il aurait participé aux courses, on ne pourrait le lui reprocher. Sur le retour, il fut forcé d’effectuer un crochet pour se procurer des cigarettes, puis il s’arrêta dans un café, commanda un double expresso et un verre d’eau. Il arriva chez lui aux environs de quatorze heures. Célestin, que le bruit du verrou rendit fou, lui fit une java du tonnerre. Il jappait, se frottant frénétiquement à ses mollets. Attendri par cette effusion de bave, Léonard l’accueillit comme il se doit. Célestin lui nettoya la figure en remerciement des papouilles sur ses flancs. Margot, levée à l’aube, ne se retourna pas en entendant son boucan. Elle restait rivée sur le clavier de son ordinateur. Il lança un fringant « Hey, ça va ? », et l’embrassa sur le front en brandissant son sac de commissions. Elle s’abstint d’en commenter le contenu. Il la provoquait avec son air satisfait ? Il comptait vraiment cuisiner une ratatouille ? En février ? S’il espérait que de pauvres légumes choisis n’importe comment occultent le fait qu’il ait découché, il la sous- estimait. Submergée par ses dossiers, Margot capitulait face aux croissantes extravagances de Léonard. Régressant vers l’adolescence, il rentrait tard notamment. Il pouvait passer la nuit dehors, regagnant le port au petit matin saoul comme un marin. Son travail exigeant un investissement important, elle n’avait le loisir de se préoccuper des tribulations de Léonard. Consternée, elle demanda poliment s’il avait passé une bonne soirée, et replongea vers son écran.

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