Quatre amies partagent l’humour, la vie quotidienne et, depuis plus de quinze ans, une vraie sororité au sein du club autoproclamé des Grosses Pouffes. Il y a d’abord Marianne, une douce quinqua pétillante, quelque peu fracassée par les départs à répétition de son mari et par tout un tas d’abandons, tous plus cruels les uns que les autres. Marianne, même pas fière et si dense. Il y a aussi Narcisse, psychologue au curieux prénom de fleur, qui veille sur la carrière de cadres déboussolés. C’est la plus jeune des quatre, la plus impétueuse. Avec ses yeux de biche et son allure de danseuse, on se demande comment elle gère, en plus de son travail, ses trois marmots et le beau duo amoureux qu’elle forme avec Marco, son compagnon. Samantha, alias Sam, était la plus âgée des quatre, avec ses 71 piges, ses engagements et son putain de cancer de merde, qui l’a mise K.O. en un an à peine. Sam que nous avons pleurée hier et qui n’a pas fini de me faire chialer pour les siècles des siècles, amen. En tant que quatrième Grosse Pouffe de l’affaire, face à ce scandale absolu, à cette impensable vie sans Sam, je viens de prendre l’une de ces décisions qui changent parfois nos vies. Je vais écrire, maintenant, pour de vrai, avec envie et lâchage de style.

Extrait de Avant l’armure par Thérèse Desponts

“Ce 29 décembre, je repense à la matinée d’avant-hier, juste avant la cérémonie, à mon ressenti d’alors, qui perdure encore, et au message que j’ai envoyé dans notre groupe “Sam power” (Nars’, Marianne et moi, en mode cohésion maximale), un groupe de messagerie créé au moment de l’opération de Sam, une intervention qui était censée la préserver mais qui, de manière paradoxale, a marqué le début de sa fin. On meurt, comme le dit Marianne, plus souvent des conséquences des soins que de la maladie elle-même.

Le 27 décembre à 9 h 19, j’écris donc ce message : “Je me sens comme un soldat… avant l’armure.” Je ne leur donne jamais les sous-titres, mais intérieurement je supplie : “Rendez-moi ma cotte de mailles, mon heaume et mon drapeau, bon sang ! Mon royaume, ou plutôt ma grotte, pour une armure. S’il vous plaît, donnez-moi une carapace ! Ne pas ressentir au cœur ces flèches, dévier les coups de hache que me lance la douleur des autres, celle de ceux que j’aime, qui pleurent et qui souffrent au moins autant que moi. S’il vous plaît, là-haut, SOS, envoi demandé en urgence d’un bout de fer pour l’escargot à la coquille écrasée que je suis.”

9 h 19, je me tortille, à vif, sur le bord du chemin d’un convoi mortuaire que je vais pourtant suivre, en bavant.“