Ainsi que mes précédents récits, celui-ci noue autour de personnages, intrigues, sentiments, action et réflexions. Ces rencontres tournent autour d’une personne, Eumerralia, jeune Ambassadrice, qui les conte à la première personne. Sa liberté, ses incertitudes, ses émois, elle les raconte, influencée par ses proches, que leur âge et leur expérience renforcent, l’aidant à poursuivre un chemin lumineux. Voici aussi une histoire de décoïncidence, l’héroïne se confrontant à d’autres, sort d’elle-même, absorbe ce que ces autres lui apportent. Comme le dit François Jullien, « Toute notre vie, ne la passons-nous pas à attendre de l’autre, de l’autre enfin qui soit autre »*.

En soutenant mon projet, vous m’encouragerez à poursuivre dans l’exploration de l’intime et de l’intemporel !

*1 F. Jullien, « de la rencontre », P.18 ed. Livre de poche.

Extrait

Être. Je Suis. Parménidienne affirmation que je jette à mon matutinal miroir. « Je » pense, « egw eimi », « moi, je suis », je me l’affirme, « étant » indivisible. L’acte de cette pensée et l’objet de celle-ci se confondent dirait le philosophe d’Élée. Face à mon reflet, je me constate, et cette réflexion physique et intellectuelle (le miroir me reflète et mon esprit le constate) me donne de la force ; cela est la suite du premier mot, le premier de l’histoire du jour nouveau. Ainsi me dis-je bonjour, ainsi commencé-je une nouvelle aventure, même si elle est parfois banale.
À quoi bon ajouter un mot à « Être » ? Empiler des compléments ? On naît tous les jours, différent physiquement dans ses tissus vivants, ses organes, mentalement un peu, de nouveaux sentiments, de nouvelles questions, des apories qui jaillissent de l’inconscient, qui vont me tarauder en arrière-plan le cerveau toute la journée : telle question présocratique de l’être et du non-être, celle, bien connue des physiciens, du « vide », qui n’est point vide, et du « néant ».
Bleu mystère. Encre à la douce prégnance, tel le vert des hiéroglyphes ornant les tombeaux d’Égypte, encre qui trace sur le papier les signes traduisant mes pensées. Rien ne peut remplacer cette sensation que procure la plume courant sur la feuille. Pensées, histoires, récits d’imagination, tout ce qui sort de ma tête, se déverse en flot bleu de mon calame. Autour de moi le silence ; glisse la durée jusqu’à l’inévitable instant où ma trajectoire s’achèvera.
Bleu mystère. Tel l’océan épais aux vagues puissantes, porteur de rêves et de caravelles, de tempêtes et de vents incertains, lui aussi laissant l’imagination glisser au fil de l’écume, du bruit des flots furieux.
Bleu mystère du rêve nocturne qui emporte au loin, vers des êtres réels ou inventés qui m’importent autant que moi-même, dont la présence en ma tête reste en impression au fil des heures de veille.

« L’Univers, tel que nos yeux croient l’apercevoir, diffère totalement de sa forme vraie. Nous ne voyons et ne pouvons voir que ce qui est en nous-même », dit Irène Hillel Erlanger*. Vérité et Réalité, deux aspects opposés de conception du monde. La Réalité, pour l’homme, est ce qu’il perçoit, lui, ici et maintenant, donc sans universalité, liée à lui seul là où il est. Mais la Vérité ? Elle est nécessairement influencée par nos perceptions, même si on la prétend universelle et acquise, comme le dit Socrate.
Vérité mathématique, comme dire que C’est la clôture algébrique de R, le plus petit corps contenant R et où tous les polynômes à coefficients réels ont toutes leurs racines**. Cela est « Vrai », dans le corpus des mathématiques. Dans d’autres domaines, il existe aussi des vérités, mais toutes au sein d’un langage. Une « vérité » existe-t-elle par elle-même ? dans tous les cas, si il y a vérité, il n’y a oscillations, mais si il y en a il y aura forcément du « bruit », lequel troublera le concept, générera des interférences, de sorte que l’on ne pourra plus rien dire de l’extension de cette « vérité », qui perdra par là son caractère d’universalité.

J’écris cela, moi, Eumerralia, alors que la nuit est profonde, que tout dort, que les idées surgissent en vagues et stimulent mes nerfs trop à vif pour qu’Hypnos, Upnos, lui qui endort de son aile les hommes et les dieux, puisse intervenir. Je renonce donc à l’idée d’une « Vérité » absolue, démontrable en quelque laboratoire, au feu de l’athanor le plus sophistiqué imaginable. Contentons-nous de la réalité !
Lorsque je me regarde dans la glace, je vois une femme de presque trente-cinq ans, d’apparence assez satisfaisante, j’y ai toujours veillé, mariée depuis cinq années à un homme beau, fort bien élevé, très différent. Je suis Ambassadrice, plongée dans la réalité la plus contraignante, la plus diverse, chaque jour ou presque m’apporte un sujet devant lequel je me dis toujours : que font les autres ? que dois-je faire ? Et mes réflexions oscillent souvent entre l’acte, à mesurer, peser, et la puissance du pays que je représente, dont souvent l’image seule suffit à influencer le cours des choses.

* In « Voyage en Kaléidoscope » Gallica, p.13
** C, est le corps des nombres complexes, R, celui des nombres réels. Un corps est un anneau non réduit à et où tout élément non nul est inversible.