“Le grondement sourd provenant de quatre kilomètres en amont, qu’avait amplifié le penchant des collines contre lesquelles il buttait, était à présent devenu un bruit assourdissant. Comme si un orage monstrueux courait sur la terre. Il frissonna. Le monstre arrivait ! Il se ruait dans la vallée, gigantesque lame haute de quarante mètres, semblant défier le ciel, couronnée sur sa crête d’une nuée d’écume blanche sale, comme une bave bouillonnante. Tout en bas, la route venait de disparaître sous le flot. Il aperçut encore un court instant le toit de sa demeure, et puis dans le clair-obscur qu’il avait à ses pieds, il eut l’impression de la voir monter en l’air. Ce n’était pas un mirage. La ferme se décollait du rocher sous la poussée irrésistible de la gigantesque vague, comme s’il ne s’était agi que d’une barque soulevée par la marée montante.
Et puis la bâtisse disparut… Emportée, soufflée par le monstre liquide qui déversait en hurlant ses millions de mètres cubes d’eau alourdie par les tonnes de terre arrachées aux collines, et où tournoyaient pêle-mêle rochers, arbres, buissons… Et cadavres.

Le cri qu’il ne put retenir s’étouffa dans une sorte de bref sanglot. Le monstrueux bélier poursuivait son œuvre de mort. Ce que Jean ne savait pas encore, c’est qu’elle ne faisait que débuter. Mais il avait compris que c’était leur vie d’avant qui venait d’être emportée elle aussi…“