Dans les pas du rêve, raconte mon périple professionnel, depuis ma Bretagne natale jusqu’aux Pyrénées, en passant par Haïti et Montreuil (93). Ce parcours, sous-tendu par le désir constant de donner sens à mon travail, pourrait presque se résumer en un mot : marcher. La marche, au sens premier du terme, fut mon sésame en Haïti où elle m’a ouvert les cœurs et les portes. Plus tard, en proie au doute, elle me reliera à mon enfance puis se métamorphosera en outil de travail pour accompagner les futurs pâtres de haute montagne ou pour garder les vaches. Mais marcher recouvre aussi avancer intérieurement et aller vers les autres. En cela, mon parcours, émaillé de multiples activités, fut riche d’enseignements et de rencontres. D’obligé, j’ai fait de mon travail une forme d’aventure, puisant dans les livres la force d’oser. Dans notre monde si bousculé et incertain, ce récit s’adresse à tout un.e chacun.e, mais peut-être davantage aux jeunes, femmes et hommes, qui cherchent leur voie.

Extrait

Dans le crépuscule naissant, assis sous l’auvent, T. m’entretient des projets de développement et de formation en cours au DCCH (Développement communautaire chrétien haïtien).

Nous en venons à l’objet de ma venue. Je lui fais part de mon désir de connaître la réalité du monde paysan haïtien en m’intégrant aux activités conduites au centre, mon souhait étant de déranger le moins possible. Il m’écoute puis me demande : « Qu’as-tu à offrir ? » « Rien. Je n’ai rien à offrir, mais tout à découvrir. » Est-ce la fatigue accumulée ? La crainte d’être rejetée ? Les deux mêlés ? En prononçant ces mots, je sens poindre les larmes. Heureusement, la nuit dissimule mon trouble. Cependant, pour rien au monde, je ne veux m’imposer. Aussi, je poursuis. « Si vous estimez que ma présence va déranger, dites-le moi, je partirai. » Ce à quoi il répond. « Non. Je crois que c’est possible. Tu peux rester. Tu pourras regarder. Sentir les choses. » Sur ces dernières paroles, nous rentrons manger.

À table, le créole est de rigueur. J’attrape quelques bribes par-ci, par-là. Dans ce domaine, aussi, j’ai tout à apprendre, la musique de la langue, sa structure, le vocabulaire. Pendant le repas, sans le vouloir, je provoque l’hilarité générale. Au moment du dessert, on nous apporte des mangues. Me voilà bien embarrassée face à ce fruit que je découvre. Comment le mange-t-on ? Je n’ose pas demander. J’attends de voir comment s’y prennent les convives, puis je les imite. Je porte la pointe de la mangue à ma bouche puis d’un coup de dent, j’arrache un premier lambeau de peau, ce qui déclenche un immense éclat de rire. Devant mon air penaud et interrogateur, on m’explique que je dénote, car habituellement, les français usent d’un couteau et d’une fourchette pour la peler. J’avoue n’avoir pas cherché à vérifier.