Rédigé à l’aube de ma vie adulte dans les études supérieures en philosophie, Déliquescence n’est pourtant ni un essai théorique ni un roman comme les autres : il se diffuse, se déhanche entre les effluves opulents d’une jeune femme avide d’éprouver sa liberté, et la plainte sourde de la langueur qui l’habite et l’imprègne d’un sentiment amer d’être perdue. Ce livre rend compte des inquiétudes inévitables qui s’imposent à nous dès la fin de l’adolescence : la volonté de savoir qui l’on est et ce que l’on veut être, les désirs oscillants entre de nouvelles responsabilités et la tentation de se laisser porter en repoussant ses craintes au lendemain, l’angoisse provoquée par l’incertain mêlée à l’euphorie d’un champ des possibles plus vaste et riche que jamais. Déliquescence s’adresse non seulement à cette jeunesse en quête d’elle-même, mais aussi à « tous ceux qui ont un jour tenté de fuir la réalité », ceux qui ont esquissé un pas de côté, se sont éprouvés jusqu’à devenir des réprouvés, qui sait ! Et si ce livre ne vous offrira ni réponse, ni remède, je sais qu’il saura vous tendre une main sûre et vous entraîner dans une danse qui, le temps d’une lecture, entendra en chacun les doutes autant que les plaintes.

Extrait

« Elle alluma hâtivement sa première cigarette de la journée. Elle fumait. Beaucoup. Elle y trouvait un réconfort, un compagnon fidèle, qui lui apportait quelque contenance dans les soirées ternes d’hiver ou aux terrasses des cafés où elle s’asseyait des heures durant. Ce mode de vie, étrange, lui plaisait pourtant.
Se lever tous les matins avant l’oraison du jour, faire couler un café bien noir, sans rien avaler d’autre. Aller à l’université à pied, d’un pas ferme et élancé. Écouter des professeurs réputés lui parler de Kant ou de Hegel d’une oreille distraite. Puis déjeuner dans une petite brasserie du quartier, commander un café, fumer de nouveau, et s’attarder longtemps encore, sur ces chaises tressées, à regarder les passants défiler. À imaginer l’intimité, les destinations, les pensées de ce tout-Paris pressé qui martelait les rues pavées. Puis rentrer chez elle, et, malgré la fatigue pointant, se préparer, lasse, un cocktail bien frais pour se donner un peu d’enthousiasme. Relire vaguement ses cours de la journée, l’œil sur la feuille mais l’esprit au loin, puis prendre une douche brûlante et essayer une heure durant une pile de vêtements qu’elle ne repliera que le lendemain, jusqu’à trouver sa robe du soir. Elle rentrera tard encore, elle le sait déjà.
Il était sept heures vingt, et en tirant la première bouffée du jour, assise sur le minuscule balcon de son appartement parisien, les pieds sur la rambarde de fer, les doigts tremblants de n’avoir pas fumé depuis plusieurs heures, il y avait comme un arrière goût amer, une mélancolie douloureuse, dans le flot continu de ses pensées. »

Crédit photographe : Thibaut Thuret