Il existe des muses qui insufflent l’inspiration aux artistes, qui les nourrissent de cette essence divine qu’est la création artistique. D’autres, cependant, ont été oubliées, animées d’une intention sinistre, telles les trompe-l’œil de Magritte, elles convoitent ce qui coule dans vos veines plutôt que dans votre esprit. Cette histoire sert d’avertissement à ceux qui se perdent dans leur passion. Car on ne sait jamais ce qui se dissimule derrière la toile. L’obstination obsessionnelle d’un homme, la prophétie incessante d’une femme. Et en son cœur, vous, ainsi que le projet d’une vie.

Extrait de Derrière la toile se cache un monstre par Luther W.

« Il avait atteint son point culminant, son apogée, l’acmé de sa rage concentrée en un coup de pinceau dont la violence ne se sentira sûrement que parmi les connaisseurs. Mais il y était indifférent, ce n’était pour personne d’autre que son démon qu’il peignait. Dans un ouragan de notes triomphales rappelant Wagner ou Holst, il achevait son tableau, qu’il vendra très certainement cher à son prochain vernissage. Pourtant, la passion que reflétait l’œuvre était difficilement perceptible. Pour vous donner une image, c’est une peinture qui miroite l’artiste, et surtout, ce coup de pinceau qui traverse le canevas de part en part comme si quelqu’un l’avait saccagé dans un refus, un déni de ce peintre, de son visage fin, de ses longs cheveux noirs se battant en d’incessants duels bouclés. Son regard hypnotisé par le coup de maître qu’il tentait d’accomplir traduit une flamme secrète, apparente seulement par quelques braises au niveau de l’iris. Sa peau blanche évoque la mort, ou au moins Thérèse Raquin, et plus particulièrement son frère Camille. Un débile, un faible fébrile, un damné, qui finira par se faire noyer…Puis hantera sa sœur et son amant Laurent, peintre également, par son rictus ignoble, même après sa mort, même après avoir souffert de ses débilités.

Et c’était tout ce qu’était Trevor. Un jeune homme fragile de constitution mais un brasier inouï qui avait marqué ses tableaux de ce feu que les amateurs d’art aimaient tant. Ses tableaux sont en mouvement, ils décrivent toujours un geste significatif, une action, un en train de. Il n’est pas le seul à le faire. Il faut dire que nous sommes à l’ère de la photographie, de la vidéo, qu’est-ce qu’une peinture, qu’est-ce qu’un amas de couleurs peut faire de plus, sinon distordre le réel, semble-t-il si cher aux internautes déchaînés, à la presse aux articles fétides, aux livres d’Histoire, qui, dans toute leur neutralité décrivent la réalité déprimante et au combien répétitive dans laquelle ils sont piégés, avec pour seul échappatoire, la fiction. Sûrement ne se rendront-ils jamais compte que les pères fondateurs avaient leurs propres pères fondateurs, et que leur corruption s’est transmise comme un juron qu’un parent ne cesserait de vociférer devant ses enfants.

Y avait-il quelque magie ? Quelque phénomène ? Quelque splendide apparat dont le peintre dotait ses œuvres, leur donnant cet élan tant apprécié ? Beaucoup avaient leur hypothèse, là-dessus, car il était évident que le talent seul ne sût expliquer comment un si jeune artiste parvenait à battre parmi les meilleurs, les plus expérimentés, les plus reconnus. Non, leur hypothèse se basait sur de l’ésotérisme, ou une forme de drogue, de maladie permettant à Trevor de voir les choses d’une autre façon, ce qui faisait de son art quelque chose d’inimitable. Le mouvement des personnages ou des objets, indescriptibles en soi, semblait impossible à reproduire. »