Ancré dans notre époque, « Entre les lignes » ; est un roman choral qui adopte le point de vue de six personnages. L’action se déroule dans une commune fictive, en Essonne, en 2013, à quelques mois des élections municipales et en plein débat sur le mariage pour tous. Dans le tumulte d’une France fragilisée par des combats politiques passionnés, la journaliste d’un hebdo local va découvrir le secret d’un adjoint au maire d’apparence irréprochable. Dans ce texte, il est question de liberté(s) : liberté de la presse, liberté d’expression, liberté d’aimer et de ne pas aimer, liberté de rester, liberté de fuir… À travers le récit de ces six protagonistes, il s’agit également de nourrir une réflexion sur les devoirs du journaliste. Faut-il tout dire ? Peut-il exister plusieurs vérités ? Je souhaitais que ce livre marque nos questionnements contemporains, à l’ère où l’information doit se traiter en temps réel.

Extrait

Celine
Il faut une bonne dose d’effronterie, un mental en béton, pour résister au diktat de l’accélération. Plus qu’un état d’esprit, c’est un véritable choix de vie que j’ai personnellement opéré contre la tyrannie de la vitesse qui nous est infligée dès le plus jeune âge. J’ai pris le temps de l’enfance, là où d’autres s’empressaient de vouloir devenir des adultes. Premières règles à quinze ans, premier roulage de pelle à seize, premier rapport sexuel à dix-huit ans, premier CDI à trente-quatre. J’ai tout fait après tout le monde, pas dans les temps, luttant d’instinct contre la rapidité dominante. Pourquoi se précipiter ? La lenteur a la grâce d’une ballerine, la douceur d’un câlin maternel. C’est cette précipitation qui conduit aujourd’hui à la méfiance générale du lecteur pour le journalisme car elle convoque indubitablement l’appauvrissement du contenu, tant sur le fond que sur la forme. Fautes d’orthographes, style lourd, pollué par des mots clefs pour un meilleur référencement sur le web, répétitions. Google et Wikipédia ont remplacé les recherches aux archives et les investigations de terrain. Il ne manquerait plus qu’on prenne le temps de vérifier les infos. Bref, le métier va à vau-l’eau. Au lieu de le rendre plus efficace, la modernité a jeté le travail dans la spirale de la médiocrité et les salariés dans une aliénation permanente, sous la pression d’un lecteur qui exige une immédiateté. Mes dernières forces m’abandonnent. Pourquoi lutter après tout ? Et si j’avais tort de persévérer dans cette voie d’un journalisme qui a visiblement aussi mal vieilli que les films de Gérard Oury. Les patrons de presse ne sortent plus de Sciences Po mais des écoles de commerce. Ils ont la folie des grandeurs. Le numérique fragilise nos métiers et nous fait glisser vers un modèle économique banalisant les dérives, au détriment des vrais débats. On bâtonne de la dépêche à longueur de journée. Du contenu facile et rapide. En même temps, si le lecteur avait envie de réfléchir, ça se saurait. Heureusement, reste quelques érudits. Mais pour combien de temps encore ? À quand le point de non-retour ? Le temps presse. Les abonnés se font minoritaires et le QI général amorce une baisse inquiétante. Alors à quoi bon ? À quoi tient la qualité d’une information finalement ? À sa vérité ? Elle a bon dos la vérité.