Ce roman, destiné à tout public, mêle chronique rurale et tragédie historique, en esquissant avec humanité la montée vers la Grande Guerre à travers les projets d’un jeune paysan.
L’attachement à la terre, la tendresse des liens familiaux et la brutalité de l’histoire confèrent à cet ouvrage une force narrative touchante et universelle.

Nous repartons à la tombée du jour, le soleil caresse une dernière fois la campagne et notre Rossinante va bon train sans qu’on la guide, elle commence à connaître le chemin. Nous progressons sans un mot, perdus dans nos pensées respectives. Nous arrivons à la nuit mais la lune nous éclaire suffisamment et les aboiements de César font s’entrouvrir la porte. À voir nos mines déconfites, Sidonie et Daphné se figent.
— Qu’est-ce qui se passe ? Ici, tout va bien. Pourquoi ce retour précipité ?
— Ne vous inquiétez pas, nos familles sont en bonne santé, mais la République va mal.
— Enfin, Honoré, explique-toi !
— Eh bien, voilà… Ils ont assassiné Jaurès.

La nuit tombe mais le ciel est dégagé, aucun nuage à l’horizon. Les échanges d’artillerie ont cessé, de temps à autre, une fusée éclairante illumine le no man’s land. Il est trois heures, je me débarrasse de tout ce qui peut faire du bruit et simplement muni d’une baïonnette, je rampe lentement à l’affût du moindre signe d’activité.
Une lueur apparaît à trente mètres devant moi et une odeur de tabac alerte mon odorat. Ah le con, il fume ! Une fusée éclairante part d’en face, je me laisse glisser dans un trou et j’attends. Quelques coups de feu tirés dans notre direction montrent que leurs sentinelles sont aux aguets et qu’ils ont repéré la lueur dégagée par une allumette ou un briquet. Je dois attendre, blotti au fond de mon trou, il fait froid. Au bout d’un moment qui me parait interminable, je reprends ma progression.
Enfin, je vois une tête apparaître devant moi, je lui fais signe de la fermer et je glisse au fond de son abri. Il me montre sa jambe blessée, heureusement j’avais prévu des bandages au cas où.
À la clarté de la lune, je m’aperçois que c’est un gamin, dix-huit ans au plus. Il sourit et me tend une flasque, j’en bois une gorgée, c’est de l’alcool fort. Par gestes, je lui indique de tout laisser sur place et je lui fais signe de me suivre. Sa blessure nous empêche de progresser rapidement, une nouvelle fusée monte vers le ciel et dès qu’elle amorce sa descente, une mitrailleuse entame un tir nourri.