« Marie n’avait rien calculé de ce qui était en train de lui arriver ni vu arriver celui qui venait de pénétrer dans sa bouquinerie ce samedi matin de septembre. Ils étaient rares les clients du matin, surtout dès la levée du rideau. Entre 25 et 30 ans, cheveux coupés court, yeux verts, taille moyenne, mince, vêtu d’un jeans et d’un polo Ralph Lauren, sneakers New Balance aux pieds, elle l’identifia tout de suite comme un enseignant. Entrant d’un pas assuré dans la boutique, il ne prit pas le temps de regarder dans les rayonnages mais alla droit au comptoir lui demander si elle avait La Chute d’Albert Camus précisant :
– Je suis professeur de philosophie au lycée, je viens d’avoir ma mutation. J’arrive de Blois et je n’ai pris que quelques livres. J’ai laissé la plupart d’entre eux chez mes parents. Je me suis rendu compte hier soir que j’aurais besoin de ce roman pour un cours. Aucune des deux librairies ne l’a en stock. Il me le faut pour lundi.
Elle resta interdite. D’abord parce qu’il avait parlé vite, d’un ton assuré, celui de quelqu’un qui a l’habitude de parler et d’être écouté. Un peu aussi parce qu’il la troublait. Et surtout enfin à cause du livre qu’il demandait. Elle avait même cessé de respirer quand il avait prononcé le titre.
Elle n’avait jamais pensé à ce que cela lui ferait quand l’un des livres modifiés serait acheté. Elle avait d’ailleurs imaginé que l’acheteur l’acquerrait en farfouillant comme le font la plupart des gens qui achètent chez un bouquiniste. Là, lui demander le livre, tout de go, elle n’était pas préparée à ça.
Elle avala sa salive, prit une inspiration et murmura un « oui » à peine perceptible. Allant vers les rayonnages elle précisa :
– J’ai deux éditions dont une augmentée par une étude critique. Laquelle voulez-vous ?
Lui présentant les deux, il prit sans même les regarder la simple – donc celle qu’elle avait changée – paya et repartit après lui avoir souhaité une bonne journée. »