Imagez cet écrit comme un homme ayant quitté la Terre. Il n’est plus là. Où est-il ? Je ne sais pas. Possiblement perdu dans le monde lyrique, dans le monde où l’on peut prendre le temps de penser, où le perdre, c’est le gagner. Imaginez un homme pensif, loin de tout, proche du rien, qui s’amuserait à se laisser aux aller-retour entre le globe terrestre et l’espace, entre le souvenir et la pensée. Qu’il est souple de souffler une bougie chaque année ; qu’il est rêche de voir sa jeune vie s’effeuiller au fil du vent. Voyez cet écrit comme un tableau dont chaque couleur représenterait une idée. Tout ne se comprend pas adroitement, je serai même heureux de vous savoir maladroit. Tombez où je pensais que le chemin était sans encombre et courrez où j’avais mis des obstacles ! Que vos yeux se baladent sur le sentier de ma première partie de vie, qu’ils voyagent dans la mémoire d’un jeune être, et qu’ils s’immobilisent face à l’arbre qui fructifia ma réflexion. Je vous offre en mille alexandrins le cri d’une âme qui se lit silencieusement. Ce poème est un tout. Il se laisse partir dans mille et une directions. Il n’a pas de boussole ; il se perd, il se trouve, il se cherche, parfois il pleure, parfois il rit, parfois il se tait, et parfois on ne sait plus ce qu’il dit. Il est humblement le reflet, le miroir, le portrait du vivant. Chance à celui qui soit l’omniscient de la vie, moi, j’assume souvent n’en rien comprendre. Et c’est dans l’incompréhension que se loge une partie de la poésie. C’est pourquoi certains passages sont volontairement difficile, ils sont le reflet de ce qui parfois ne se comprend que peu. Quant à tout le reste, c’est une main tendue, et si vous vous agrippez fortement aux pages, il est possible que vous finissiez par y sentier mes doigts. Hélas ! Oui, j’ai la vie devant moi, mais tout ce qui me devance n’appartient plus à La Jeune Vie.

Extrait

Quand j’étais jeune enfant, la fougue dans les os, 

Je me laissais courir sans destinée aucune. 

J’étais sur tous chemins, du soleil à la lune, 

Avec pour seule envie d’entrevoir le cosmos. 

J’avais pour grand ami un ballon fait de cuir ; 

Sans cesse dans mes pieds, il croulait sous mes coups. 

Je me voyais l’aimer, et il m’aimait beaucoup, 

Et tous deux nous allions vers l’herbe nous séduire. 

Que d’heures sont passées dans l’escorte du temps ! 

Le matin, au réveil, comme un rêve lucide, 

J’allais, la balle au pied, dans une allure fluide 

Au petit déjeuner dans un air tout content. 

Les escaliers en bois, craquant à chaque pas, 

Me voyaient défiler ; fugitif évadé, 

Qui ne pouvait marcher : toujours à gambader 

Vers le ventre rempli d’une fin de repas. 

Et puis venait l’école au tout près de chez moi ; 

Un modeste sentier étouffé de grillage 

Dessinait mon chemin vers l’unique voyage : 

Le savoir en un lieu où gisait tout l’émoi. 

J’y allais sans raison, j’y allais turbulent, 

Pour apprendre à compter, pour apprendre les mots. 

J’étais comme un enfant pareil à ces marmots 

Qui jouent avec un rien aux yeux étincelants.