Après avoir dévoré depuis l’enfance les mots des autres, j’ai ouvert grand les bras, le cœur et l’âme à ceux que j’hébergeais en secret. Des mots pour m’approcher, me fouiller, me dire, pour tenter de me contenir. Une manière comme une autre d’éclairer ce mystère bien trop grand pour moi qu’est la vie. Mot à mot, ce livre s’est invité et révélé à mes yeux étonnés, tantôt incrédules, tantôt émerveillés, parfois effrayés. Sans règle, sans loi, sans autre but que de se laisser traverser par l’immense plaisir de créer. Selon les jours, les humeurs, de moi, d’une autre, je ne sais qui a écrit. J’ai visité les cavernes où dorment mes monstres et ausculté le génie de la lampe. Je me suis abreuvée à une source qui n’en finissait plus de couler. Ce livre est une folie, un abandon, une liberté, un rêve, un cri de joie, un acte d’amour. Pourquoi, comment, pour qui ? Je ne le sais pas. L’appel a été si puissant qu’il doit avoir un sens, même si je ne le discerne toujours pas. La suite ne m’appartient pas, elle est entre les mains de celles et ceux qui auront envie de me lire. Ainsi soit-il.

Sur le sol de mon tipi, quelques vêtements, des livres. Des affaires de toilette, des livres. Un sac de montagne, des livres. Des carnets encore vierges ou noircis de mots, quelques stylos, des livres. Dans ce tipi, des livres, des livres, des livres. Ceux que j’ai récemment achetés, ceux qui m’accompagnent depuis toujours. Mes livres, mon échappée belle, paisible et intemporelle. Invitation au voyage, source inépuisable de découverte et d’apprentissage, exploration sans limite de la puissance de l’imagination, le livre est un trésor. Compagnon indéfectible de mes ennuis, de mes insomnies, de mes chagrins, de mes doutes, le livre est un refuge, un phare, une amarre. Pansement sur mes blessures, baume apaisant à mon cœur écorché, remède aux bleus de mon âme, le livre est une thérapie. Le livre est une évasion, une profonde respiration, un horizon, qui ne connaît ni frontières, ni murs, ni barreaux. Romans, poèmes, essais, recueils, nouvelles, BD, biographies… qu’importe la forme pourvu que l’ivresse livresque soit au rendez-vous. Dans ce tipi, tout à coup je le sais, il y a aussi un autre livre, celui que je n’ai pas encore écrit. Je devine sa présence, j’hume l’invisible, je goûte le possible, j’effleure le rêve du bout des doigts. L’air de rien, pour ne pas l’effrayer, je me laisse aller à l’imaginer. Tout comme j’ai su d’instinct il y a longtemps déjà que je portais un enfant, je sens que j’abrite en secret non plus une vie de chair et de sang mais un être de mots. Dans ce tipi, un livre, mon livre. Ce jour-là, rien de plus qu’une minuscule graine délicatement déposée en terre, confiée à l’air, au soleil, à la magie de la vie. Que je laisse germer en moi et qu’un printemps verra fleurir, ou pas.