En Europe, l’immigration fait les grands titres des journaux, alimentant souvent les fantasmes des leaders des partis extrémistes. Bien souvent, la peur s’élève face à une fraternité exacerbée de revendications politiques. Pourtant, qui connaît vraiment la réalité de ces parcours ? Que se passe-t-il vraiment à Lampedusa ? Ce livre n’a pas pour vocation d’entrer dans l’arène politique ; il est un hommage vibrant aux existences que j’ai eu le privilège de rencontrer, aux âmes courageuses qui ont traversé des épreuves inimaginables.

Chaque histoire relatée ici est le fruit de longues auditions en préfecture, de dialogues intimes avec ceux qui ont dû abandonner tout ce qu’ils connaissaient, en quête d’espoir. En raison du contenu bouleversant des histoires qui sont relatées, ce livre n’est pas adressé à un jeune public. Afin d’assurer l’authenticité des récits et la sécurité des protagonistes, leurs noms ont été modifiés. Si ces mots vont peut-être changer les mentalités, attendrir, émouvoir, révolter, une chose est sûre : ils ne laisseront personne indifférent.

Extrait de  L’enfer s’est-il arrêté à Lampedusa ?  de Marie Guermeur

Les jours passent au camp de Ferrandina, mais la tristesse reste identique. Chaque matin débute le même rituel consistant à faire l’appel afin de s’assurer que toutes les personnes sont encore présentes. Régulièrement, nous découvrons que cinq personnes se sont échappées durant la nuit. Vers où ? Comment ? L’hôtel est situé au bord d’une autoroute, bordée de champs à perte de vue… Les deux petites filles apeurées, que j’avais vues le premier jour, sont encore là. Leur mère semble toujours être dépassée par la situation et ne leur porte pas beaucoup d’attention. Depuis maintenant trois jours, les petites passent leurs journées à attendre dans un canapé, devant une télé qu’elles ne regardent pas. Il manque toujours autant d’air à l’intérieur de l’hôtel, et on évite de prendre de grandes inspirations tant l’odeur est insoutenable. Je vais de temps à autre à l’extérieur pour reprendre ma respiration, mais cette fois-ci, je suis suivie. Derrière la porte se cache une petite fille. Elle pense m’espionner discrètement, mais son œil et sa jambe dépassent largement de la porte. C’est Rouguiatou. Pour attirer son attention, j’attrape au sol un ballon complètement troué, je le lui lance. Débute une grande partie de jeu avec ce ballon qui semblait avoir terminé sa vie. « Je vais te montrer ma cachette », me dit-elle. Derrière l’hôtel se trouve une grande piscine qui devait certainement plaire aux touristes venus visiter la Basilicata en été. Aujourd’hui, elle est couverte de mousse verte et très abîmée. La piscine est protégée par une bâche, ce qui la transforme en cachette idéale lorsqu’on se glisse en dessous. Je remarque à ce moment-là que la peau de Rouguiatou est ornée de cicatrices, qui ne sont pas encore toutes refermées. La plus belle d’entre elles prend la forme d’un croissant de lune tout autour de son œil gauche. Rouguiatou n’a jamais eu de jouet depuis qu’elle est née ; elle garde avec elle son nouveau ballon percé en le serrant contre sa poitrine. « Je vais le prêter à ma petite sœur Hawa, elle aussi elle va jouer avec », me dit-elle en souriant.