C’est une chronique personnelle, dire autobiographie non, car cela appellerait trop de détails, trop de longueurs. C’est une suite de moments choisis dans mon passé qui éclairent des personnages importants en eux-mêmes et dans leurs relations souvent sidérantes aux autres. Ces moments sont liés à quelques lieux soulevant des sentiments forts dès que je me repasse le film du passé.
J’ai voulu un manuscrit incisif mettant en scène deux communautés régionales bien françaises et bien différentes. Leur contemplation aimante est très édifiante pour comprendre et avoir confiance dans notre société qui est solidement unifiée, même si certains en doute.

Extrait

À bout de souffle, le quartier monte l’avenue de Clichy sous couvre-feu, c’est une fuite vers les profondeurs de la station du métro La Fourche pour se mettre à l’abri. Le Centre ferroviaire stratégique des Batignolles est bombardé, les Allemands sont résolus à se battre aveuglés par une folle ferveur. D-Day, le débarquement en Normandie a été lancé le 6 juin 1944, il y a quelques jours.
Dans cet affolement, le but est de sauver sa peau. Pour mon père Léon, nos vies, la mienne et la sienne, j’ai presque deux ans. Les explosions et le vacarme des hélices des bombardiers des Alliés cassent le rythme régulier de ses pas, je suis dans ses bras jusqu’à l’arrivée au métro et la descente sur les voies pour longer le tunnel et faire de la place à ceux qui poussent pour se réfugier. Des lueurs vacillent sur la rotonde noirâtre du tunnel, le sol tremble, les visages se marquent, les corps se rapetissent se voutant pour présenter le moins de surface possible.
C’est une scène exaltée et lyrique, sauvés l’un et l’autre, la guerre finie, elle annonce enfin un avenir d’harmonie et de connivence.
Non hélas, le temps faisant inexorablement son chemin, mon père Léon et moi son fils, nous allions vivre une drôle de guerre de positions dans des tranchées fictives, évitant les mouvements à découvert qui auraient rendu flagrante une incompréhension désolante.