En ce temps où la psychanalyse est rejetée par beaucoup d’institutions psychiatriques, je veux défendre l’idée que la pathologie mentale n’est, sauf exception, pas due à une maladie du cerveau, mais à des troubles de la personnalité. Ce ne sont pas les neurones qui sont malades, mais les inscriptions que l’expérience subjective a gravées dans leurs assemblées. Ces troubles de la pensée ne relèvent pas de médicaments chimiques qui peuvent seulement atténuer des symptômes mais d’une écoute psychanalytique source d’une expérience relationnelle réparatrice.

Ce livre traite de la construction des concepts de base qui s’inscrivent dans la mémoire du bébé durant les premiers mois de sa vie, formant ainsi le système symbolique primaire. Il développe le rôle de l’environnement dans l’établissement d’une confiance fondamentale en la vie et dans les relations interpersonnelles, ou, au contraire, dans la mise en place d’une méfiance de base et de défenses plus ou moins invalidantes en lien avec une expérience subjective vécue comme persécutrice. Ce livre relie ces connaissances psychanalytiques aux avancées récentes des neurosciences, en particulier celles qui concernent la création des synapses, lesquelles unissent les neurones en ensembles significatifs. Mes patients ont grandement contribué à la compréhension que j’ai pu développer quant à l’importance des premières relations interpersonnelles, de leur qualité et de leur continuité.

Je serais heureux que ce livre aide toutes les personnes qui travaillent dans le domaine des soins psychiatriques à mieux comprendre l’importance des relations interpersonnelles dans la promotion de la santé mentale ou, au contraire, dans l’apparition de troubles mentaux, ainsi que dans les choix thérapeutiques à proposer. Je pense que ce livre peut, plus largement, éclairer toute personne qui s’intéresse aux bébés et au développement de leur capacité de penser.

La symbolisation primaire

Freud dès ses premiers travaux avait découvert que (EH,p.2) : « Très souvent, ce sont des événements survenus dans l’enfance qui ont provoqué, au cours de toutes les années suivantes, un phénomène pathologique plus ou moins grave. » Cette importance des expériences précoces et des traces qu’elles laissent dans notre mémoire n’a fait que se confirmer et se préciser depuis cette remarque de Freud. Le rapprochement des travaux récents des biologistes sur le développement du système nerveux central d’une part, et les recherches cliniques sur les troubles du développement infantile précoce d’autre part, permettent aujourd’hui de donner un contenu nouveau à ces premières intuitions de Freud.
Les psychanalystes d’aujourd’hui s’intéressent de plus en plus à la symbolisation, c’est-à-dire à la formation, la déformation et l’effacement des liens associatifs qui dessinent et assemblent dans notre mémoire les choses de la vie. La fonction alpha décrite par Bion s’affirme comme la fonction essentielle dont dépend notre capacité de penser et d’assimiler l’expérience. Cette notion d’assimilation symbolique éclaire d’un jour nouveau l’importance des premières années de la vie dans la formation du caractère ou l’apparition ultérieure de maladies mentales.