Je suis issue du peuple Bamiléké (Ouest-Cameroun), et même si j’ai baigné dans ma culture d’origine toute ma vie, il m’a fallu plusieurs années pour saisir l’essence même de cette culture, et surtout, ce qui lui offre toute sa complexité, son originalité et son caractère exceptionnel. C’est en redécouvrant la culture Grassfields sous un nouvel angle que m’est venue l’idée de ce roman, auquel j’ai tenu à intégrer les usages traditionnels de chez moi dans l’optique de lui insuffler une aura vivante.

Si vous aimez les mystères, alors mon roman saura trouver grâce à vos yeux.

Extrait

De son côté, Nyami était en conclave* avec les piliers de la tradition et les totems qui lui demandaient de reprendre courage malgré cette preuve de lâcheté de Nketcha. Selon eux, la fin de son calvaire n’était plus loin ; elle devait croire en la promesse des ancêtres et redoubler d’efforts pour vaincre son ennemi. La jeune fille écouta d’un air absent, sans mot dire. Avec un choc, elle fut ramenée à la réalité. Elle regarda autour d’elle et l’inquiétude qui se lisait dans le regard de tous lui attrista le cœur. Elle était responsable de chacun d’eux et elle se devait par tous les moyens de tous les protéger, peu importe ce qu’il adviendrait d’elle.

Elle se prosterna devant eux en sollicitant leur clémence. Alors elle fit tilt : de par la noblesse et la dignité que lui avaient transmises ses ancêtres, elle devait assumer son destin. Ce n’était pas à son peuple de sacrifier sa vie pour elle, mais à elle de donner la sienne pour les protéger, coûte que coûte. En réalité, c’était eux qui étaient l’âme du peuple Bamiléké, pas elle. Elle n’était que leur représentante et c’était donc à elle que revenait la charge de payer le tribut de leur salut. C’était décidé, dès l’aube, elle ferait ce qu’il fallait pour sauver son peuple.

– Ne fais pas cela, Sokndjo… si tu te rends, tu rendras leur combat vain, lui dit Yotat qui partageait son psychisme.
– Si ! Il le faut, je n’ai pas le choix mon amie. Merci d’avoir été là pour moi, j’ai été heureuse de découvrir le monde invisible avec toi, même si ce fut de courte durée.
– Si telle est la volonté alors, je n’ai pas d’autre choix que de t’obéir.
– Mə lὰbtə̌ ma, mə lὰbtə̌, répondit Nyami avec des larmes aux yeux et en étreignant son totem.

Nyami se leva d’un air déterminé, ce qui rassura l’assemblée, qui chanta en chœur des hymnes à la gloire de Si et à la mémoire des ancêtres. Sa décision était prise. Elle ne se défilerait pas. Pour rassurer les autres, elle garda le sourire face à eux. Elle les soigna du mieux qu’elle pouvait et les encouragea à garder la foi, car elle mettrait fin à cette persécution que Nketcha avait fait tomber sur eux.

*Réunion à huis-clos qui réunit des personnes d’un certain rang, qui doivent parler d’un sujet sensible.