Dans le Tome 2 des Nénuphars Artificiels, vous découvrirez la suite des aventures de Lean, « Bojack », Danny et les autres… mais surtout, vous assisterez à la fin du voyage ! Ainsi, ce deuxième Tome (rédigé en même temps que le premier) poursuit directement là où nous nous sommes arrêtés tout en menant à la conclusion de chacune des histoires– « Ozymandias », « La Colonie », « La Frontière », « Joy » et… tâchons de ne pas trop en dire pour le moment ! Les Nénuphars Artificiels nous plongent au cœur d’un futur (pas si lointain) dans lequel les êtres humains parviennent à créer des êtres artificiels. Dans ce deuxième volume, le temps et l’espace s’entremêlent, transcendent la nature de chacun avec en toile de fond, cette singulière question- Qu’est-ce que l’humanité ?

Extrait du livre

L’Exilée
Chapitre 1

Nora leva la tête et dans le ciel étincelant de bleu, elle remarqua le Soleil à son zénith qui l’aveuglait malgré ses protections. « Bientôt Midi. Déjà ! » Et elle en profita pour s’étirer le dos, penchée qu’elle était depuis près de deux heures sur trois malheureux fils défectueux. Son souffle précédait son regard porté tout autour d’elle sur la ligne d’horizon. Elle s’interrogeait sur ce qu’il y avait au-delà tout en sachant pertinemment que seules les étendues glacées s’étendaient de tous côtés. Un jour viendrait où, ce spectacle, désormais si familier, serait derrière elle et qu’une nature nouvelle prospérerait. Si l’occasion manquait de s’offrir de son vivant, elle œuvrerait pour un idéal qui la dépassait. La nostalgie de cette utopie la plongea un temps dans une torpeur bien malvenue et, secouant sa tête couverte de fourrure, elle se remit à l’ouvrage.
« Ici Nora Ilbeater. Responsable de la maintenance de la station EUROPA. A toutes les stations du programme POLARIS et à toute personne recevant ce message : Ceci est un test d’émission longue portée. Une bouteille à la mer afin de certifier le bon usage de la communication de la station. Merci de répondre aux coordonnées suivantes : … »
Nora répéta son texte dans trois autres langues afin d’optimiser ses chances de réussite mais elle agissait davantage par devoir routinier qu’animée d’un quelconque espoir. Elle réenregistrait un message similaire deux ou trois fois par semaine malgré la défection du matériel, laissait ainsi tourner en boucle son laïus et les ondes se propager, maintenant un poste informatique toujours prêt à recevoir une quelconque réponse. Une fois le message émis, Nora se laissa un temps affaler sur la chaise postée devant le radio-émetteur, la tête en arrière à contempler le plafond morne de la station. Ses membres ankylosés la faisaient souffrir mais elle savait comment les faire taire. Déterminée à faire de sa soirée un sort conjurant son humeur décidemment bien morose aujourd’hui, Nora s’élança dans un projet qui, elle le savait, la mettrait dans un autre état d’esprit. Elle commença par se diriger vers la salle de loisir, une pièce vétuste jouxtant le réfectoire et y alluma quelques bougies à l’aide des allumettes qu’elle avait elle-même ramené lors de son arrivée. La salle ainsi transformée en un temple à la gloire de la déesse du feu, elle entreprit la préparation d’un repas gourmand à base de lentilles vertes et de porc séché au sel marin, maigre consolation liée aux impossibilités de la plupart des aliments ne pouvant supporter un stockage longue durée. Nora retourna ensuite dans la salle de loisir, tira la toile nacrée depuis le plafond jusqu’au sol et alluma le projecteur en lançant le film de son choix… Le bruit de l’eau, la musique iconique et la plongée dans les cavernes englouties de la péninsule du Yucatan accueillirent le titre du film – « Le Paradis Perdu ». Nora, bien que familière du métrage, se retrouvait enchantée à chaque nouveau visionnage de la fresque portée par Joyce Nolan. L’actrice-androïde signant là son premier succès en incarnant le rôle d’une archéologue invitée à découvrir une civilisation disparue dont l’origine questionnait les fondements originels de l’histoire de l’évolution. Le film, dont les péripéties sous-marines étaient ponctuées par de sublimes images du cadre unique de la mer des Caraïbes jouissait d’un souffle visuel d’une richesse désarmante, tout en contrastes. Chaque image était une invitation au voyage. La fascination de Louise Bancroft, le personnage joué par Nolan, pour sa prodigieuse découverte l’amenait à basculer dans un monde étrange faits de ruines inexplorées, de larmes et d’oubli. Jusqu’au retour à la surface où le métrage basculait dans un récit choral judiciaire avec au centre la crédibilité des observations de Bancroft, sa condition de femme, et les rapports conservateurs face aux découvertes de l’archéologue mise à mal devant l’impossibilité de retourner sur les lieux de ses découvertes. Le récit intime de cette femme, bien que fictive, avait un écho particulier pour Nora. Sans doute était-ce dû à l’élégance de l’icône Nolan que Nora se sentait proche d’elle, portée par ses valeurs et par sa détermination à vouloir exposer les faits observés, à aller au-delà des frontières, quitte à sacrifier sa propre vie au nom d’une vérité, de la vérité.
Le film l’avait cueilli, comme à chaque fois et Nora était rivée sur l’écran. Elle avait déjà exulté devant la réussite de l’entreprise de Bancroft, elle s’était déjà indignée devant les remises en causes des conservateurs, elle avait déjà grondé intérieurement lorsque ses proches l’abandonnaient un à un dans sa triste quête quand survint la scène du témoignage final de Bancroft lors de son procès. L’archéologue se redressait, fière, laissant un silence pesant accueillir ses paroles : « Je crois que toute autre défense serait superflue. J’ai déjà perdu bien plus que ce que je possédais et je ne m’accroche qu’à cette parcelle de vérité. Elle ne vient pas d’une création de mon esprit, ni de ma volonté. Elle émane de mes sensations qui me dictent, encore aujourd’hui devant vous, de vous transmettre leurs fondements. De continuer à voir ce que j’ai vu, de goûter ce que j’ai goûté, de toucher ce que ces mains ont touché, de sentir ce que j’ai senti et que je sens encore. Je me moque de ce verdict puisque je sais que le temps me donnera justice hors de cette salle. Apposez vos sceaux et abreuvez l’histoire de vos mensonges, mais rappelez-vous de ceci : Une petite âme, une seule, aura dompté les marées, guidée par sa curiosité. »