Extrait de livre

« — Quant à notre père, il n’était pas souvent à la maison et nous ne l’avons croisé que jusqu’à nos trois ans, à l’âge de l’Œdipe. Il a disparu ensuite sans laisser d’adresse, ce que, avec le recul, je peux comprendre tant ma mère, même en notre présence, semblait enfermée dans une armure dans laquelle elle piétinait, dépourvue d’amour, de tendresse et d’affection. Malheureusement, notre père a également dû subir cela au centuple pendant trop longtemps ; sans échanges charnels en prime ! Que dire de cette phrase que notre mère a répétée maintes fois et pendant des années après son départ : ‘Ton père, pour ne pas le nommer !’. Te rends-tu compte du désastre sur notre psychisme provoqué par une telle expression ? Plus d’une fois, j’aurais aimé lui faire avaler ces mots comme on étouffe quelqu’un avec un foulard, en les enfonçant progressivement dans sa gorge. Je dois te l’avouer, j’ai fini par développer une haine farouche et définitive envers cette femme.
Se tournant vers son frère :
— Et toi, le psy, tu ne dis rien ?
— Je n’ai rien d’autre à ajouter, ma chère sœur. Notre mère avait effectivement une structure avec un gros noyau obsessionnel. Cela a été dévastateur pour moi, mais je n’avais pas pensé que cela l’était autant pour toi. Car la névrose obsessionnelle d’une mère est cliniquement bien plus dévastatrice pour un fils et un mari.
— Que veux-tu dire ?
— Souviens-toi de la manière, entre autres, dont notre mère détruisait le désir. La haine symbolise ce qui est en dehors du narcissisme. Dès lors, penser, compter, travailler, prier quotidiennement deviennent d’excellents moyens de s’empêcher de désirer et de renoncer à l’obscur objet de ce désir. Mais son Moi, épuisé à maintenir autant de défenses, a conduit son sujet à un état dépressif qui ne semblait avoir d’autres motifs que de se nuire à elle-même ! Et pourtant, nous en avons été particulièrement affectés, corps et âme.«