Cet écrit a été une libération mais également très douloureuse, par tout ce qu’il représente et partage ; il s’est écrit progressivement et chaque jour depuis sept ans, dans ma tête, alors qu’un autre était en cours.

En 2017, un tsunami a bouleversé ma vie, j’ai ressenti l’urgence de mettre par écrit ce qui allait m’éteindre si je ne le partageais pas ; et cela a mis du temps, comme un deuil, les sentiments évoluant au fil des années. Ayant vécu plusieurs vies dans cette même vie, il fallait que je m’installe sur une partie de cette dernière pour me reconnaître et relancer la machine à vivre.

À vivre, autrement, remplie de toutes ces expériences et rencontres qui ont croisé mon chemin. Certaines rencontres vous bouleversent, certains deuils vous bousculent dans l’urgence d’oser se dévoiler dans son écriture. Pour ne pas avoir de regrets.

Extrait de  Moi, pas moi…  de Carole-Anne Feipel

Je pourrais hurler, griffer les murs de ton appartement pour recoller un peu de toi dans ma chair. Mais hier, j’ai rendu les clés, j’ai rendu les clés de ton appartement. Douloureux état des lieux, où toute la chaleureuse lumière et odeurs du lieu qui savaient me bercer pendant trente-quatre ans, ont disparu eux aussi derrière une porte destinée à s’ouvrir pour d’autres locataires. J’ai caressé les murs de chaque pièce, je me suis couchée sur le sol et j’ai hurlé. Maman, j’ai mal de voir ma fille te chercher en silence, ma petite-fille avoir le manque de sa mémé qui l’appelait Ma Doudou ! L’horreur d’avoir les entrailles dévorées d’un manque sourd et insidieux. Que l’on me parle, que l’on me fouette, que l’on me quitte, qu’on me trahisse, rien n’est plus fort que ton absence, ta prestance, ta douceur, ta voix. Seul l’amour de mes filles essaie malgré tout de m’empêcher de te rejoindre. Je reconnais ma propre faiblesse, à ne plus pouvoir tout porter sur mes épaules. J’abdique dans la douleur, à revoir mes priorités. Je m’incline à perdre le contrôle. À me reconnaître telle que je suis, en souffrance. Besoin de me recréer, me retrouver, réapprendre à exister. Je suis à côté de mes pompes. Je suis avec toi, sans toi, sans toit. Je suis en colère contre moi, de n’avoir su déceler ton départ. Je plaide coupable d’avoir laissé les autres me noyer, alors que tu me tendais la main sur la berge. Je viens de grandir d’un coup, avec une grosse claque dans la gueule. Tous tes mots, tes conseils se bousculent dans ma tête. Je me réveille en râlant comme une bête blessée, avec un son animal et grave qui semble sortir de moi, comme la fin d’un autre moi. Ta beauté, ta pureté d’âme m’arrivent comme une vague à chaque instant. À chaque jour, suffit sa peine, la mienne est indéfectible d’heures en heures.