Il s’agit de se demander comment on pouvait penser le monde dans la Grèce du 6° avant J.-C dans un environnement totalement étranger aux monothéismes. À quoi pouvait-on se repérer en dehors de tout secours des religions polythéistes ou des mythes fondateurs ? Par un dialogue serré organisé entre différents spécialistes reconnus de la question, il est tenté ici de rendre accessible au plus grand nombre la problématique de l’être et du non-être, question centrale de la philosophie.

Introduction

Dans l’histoire de la philosophie, dès le début, Parménide, penseur de l’École éléatique, a été considéré, notamment par Platon, Aristote, ou Heidegger comme « un fondateur (comme) le “père”, ainsi que le dit Platon, de la philosophie. » (A. Badiou, Parménide, Le Séminaire, 1985-1986, Fayard, p. 11) Père de la philosophie car il a, le premier, problématisé non seulement la question de l’être, mais surtout la question du couple… être, non-être. C’est en ce sens que l’on peut dire qu’il a traité de l’ontologie, non seulement dans son sens étroit défini par Aristote dans la Métaphysique de « science de l’être en tant qu’être », (1003 a21) mais au sens large de l’examen dudit couple.
C’est en ce sens que l’entend aussi, à juste titre, Fr. Dastur quand elle souligne que « si l’on considère que c’est Parménide qui a donné le coup d’envoi à la tradition ontologique, c’est parce qu’il affirme dans son poème (fragment VI) “esti gar einai, mèden d’ouk estin”, “il est en effet être, le néant au contraire n’est pas.” (Fr. Dastur, Figures du néant et de la négation entre orient et occident, 2018, p. 58)
C’est donc là effectivement, selon nous, que réside véritablement la toute nouveauté de Parménide. Non seulement traiter de l’être, mais ne pas esquiver la question du non-être, non encore objets de réflexion.
Son œuvre unique est un poème constitué de 19 fragments écrits en langue épique qui nous sont parvenus pour la plupart par Simplicius, philosophe néoplatonicien du VI siècle de notre ère.
On sait peu de chose sur Parménide comme sur la plupart des philosophes dits “présocratiques” sinon qu’il vécut à Elée, colonie grecque d’Italie du Sud, dans la deuxième moitié du VIe et la première moitié du Ve siècle avant Jésus-Christ et qu’il était notamment contemporain de Thalès (625-547), Anaximandre de Milet (610-546), de l’école pythagoricienne de grande Grèce, de Xénophane, d’Héraclite d’Ephèse (535-475) a priori un peu plus âgé que lui.
Ainsi que l’avaient remarqué Platon et Aristote, l’école éléatique a marqué une rupture par rapport à ses prédécesseurs dénommés “physiologues”, philosophes de la “phusis”, c’est-à-dire de la nature. Ainsi de Platon : “Notre tribu éléatique, commençant avec Xénophane et même plus tôt, explique dans ses mythes que ce que nous appelons toutes les choses, sont en réalité une.” (Le Sophiste, 242 d)
Ou encore d’Aristote : “Tandis que les physiologues se donnent en plus le mouvement, puisqu’ils engendrent le Tout, les philosophes dont nous parlons prétendent, au contraire, que le Tout est immobile … Parménide paraît s’être attaché à l’unité formelle, et Mélissos, à l’unité matérielle… Quant à Xénophane, le plus ancien des partisans de l’unité (car Parménide fut, dit-on, son disciple), il n’a rien précisé.” (Méta. 986 b18)
On remarque que Platon et Aristote voient ainsi dans l’éléatisme, dont Parménide, l’école qui rend le multiple un puisque “toutes les choses sont en réalité une” et le Tout, l’un, immobile.
C’est donc dire que pour eux, l’éléatisme traite, toujours et encore, à tout le moins, de la Nature.
Mais l’Être parménidien, n’est-ce qu’une Nature, quand bien même une et immobile ? Si bien que la rupture avec les physiologues ne porterait pas sur le contenu de la nature, mais seulement sur ses propriétés, une et immobile.
Ou bien l’Être parménidien relève-t-il d’autre chose que du domaine de la nature, du domaine du corporel ?

Si “l’interprétation du message de Parménide, auquel tout le monde accorde unanimement une importance décisive dans l’histoire de la philosophie ne va pas sans rencontrer grand nombre de difficultés”, (J. P. Dumont, Les écoles présocratiques, Parménide, Folio, 1992, p. 853) et si effectivement, Parménide est considéré comme le “père” de la philosophie entendue comme le fondateur de l’ontologie, alors, prononcer sur la question de savoir si la position de Parménide relève d’une disruption dans la pensée philosophique occidentale (II) nécessite au préalable de questionner la problématique de l’être et du non-être dans l’épistémè pré-parménidienne. (I)