Lorsque l’on partage la folie douce de son père mère et que celle-ci n’est que le fruit de l’imaginaire d’un gamin de dix ans qui refuse de grandir, la vie ensuite n’est qu’une farandole dans laquelle vieillir est un verbe mort. On s’autorise trop de temps perdu à calculer la valeur des choses mais moins à connaître celle de la vie et des valeurs transmises entre père et fils. Mon père eut une vie pleine, accidentée de petits bonheurs, bombardée par la guerre, élevée par un curé, mais finalement heureuse et telle qu’il l’a voulue. Il fut à la fois père et mère, et nous éleva, avec mon frère, dans le souci de la liberté et de la priorité à être heureux.
Au bout du chemin, certains rencontrent la maladie, d’autres un curieux destin comme un dernier cadeau de l’existence, j’ai essayé de marier les deux pour donner un sens à une vie, celle d’un vieux fou, considéré comme un sage. Mais l’écrire et le décrire tel qu’il était eu été trop simple, celle de ce livre, une fable sur nos richesses endormies, un peu loufoque, un rien surréaliste, mais si proche de ma vérité d’auteur. Bien sûr il se reconnaitra comme beaucoup de pères et de fils se reconnaitront dans ce qui vaut plus que tout l’or du monde, tout l’or du père.

Extrait
Avec cette question qui se posait enfin —Mon père était-il devenu fou — je cherchais à offrir une sorte d’immortalité à ce texte. Un souffle s’alignant sur l’esprit fada de celui qui m’avait tout enseigné des bienfaits de l’apesanteur. Lui l’apnéiste du bonheur. L’esprit sautillant. Le shaman des heures tristes. Dans le tohu-bohu de mes tâtonnements j’attendais les ordres dictés par cette petite voix qui aurait eu le courage de me dire que chacune de mes phrases, tripatouillées mille fois, sonnait enfin à-peu près juste. En effet, mon père avait établi ses propres règles de la folie et je n’arrivais pas à les adapter à la vérité des mots A force de les réécrire, et de les réécrire encore, j’avais peur que le merveilleux ne se décompose en une pâtée indigeste. En réalité rien de bandant, ni d’original, je ne faisais qu’un état des lieux corniaud. Un à-peu-près bridé sur l’héritage qu’il nous avait laissé, une évidence boiteuse, une playlist incomplète pour mettre à jour dans les fouilles de son histoire tous ses barbouillages de vie. Certes y avait-il un rien d’exhibitionnisme et un rien d’émerveillement, mais ça n’était que saupoudré de lieux-commun, sans saveurs excessives. Il me manquait l’extraordinaire, le nuptial, ce mariage du faux et du vrai, pire, cette conclusion dont on est parfois qu’à demi orgueilleux et qui ne saurait être remplacée par une autre. Et il n’y avait qu’une seule personne capable de m’offrir l’irréel : lui !