La platitude et la banalité de la vie quotidienne ne garantissent à personne d’échapper à l’horreur et à la folie extrême. Cette dernière peut surgir à tout moment avec fulgurance et nous frapper à mort. Ce recueil, à l’écriture blanche et froide, traite sur un mode chirurgical de ce point de bascule.
Ces vingt nouvelles noires, ces vingt petits coups de scalpel ont vocation à illustrer « l’inquiétante étrangeté » théorisée par Freud. Une « inquiétante étrangeté » qui rôde autour de nous et nous maintient constamment dans une angoisse diffuse.
Ces vingt nouvelles courtes, à l’écriture cursive, s’adressent donc à tous. En effet, chacun d’entre nous a croisé un jour ou l’autre le plus insignifiant des personnages qui s’est révélé finalement un monstre. Chacun d’entre nous a ainsi connu l’indicible, l’irrationnel, l’inexplicable, l’effroyable, un moment dont il n’est pas sorti indemne.
Souvent avec humour, parfois avec dérision, les récits qui composent cet ouvrage explorent et dissèquent cette expérience psychique de la violation des limites.

À chacun son métier

Je suis un tueur à gages et j’aime mon métier. Il ne faut pas croire que ce soit une activité facile et de tout repos. Je prends beaucoup de risques et mérite ma rétribution. Il n’y a aucune cruauté chez moi ni aucun esprit malveillant. D’ailleurs, je ne fais pas souffrir mes cibles parce que mon travail est toujours expéditif et bien fait. Je ne veux aucun mal à mon prochain. En effet, je ne vise que l’exactitude et l’efficacité dans le strict respect de mon contrat. Pas plus et pas moins. Je ne pose pas de questions et je ne veux rien savoir sur le pourquoi du comment. Cela ne me regarde pas. Je ne tiens pas davantage à connaître mes donneurs d’ordre : moins on en sait et mieux ça vaut. En toutes choses, la curiosité m’apparaît comme un vilain défaut. C’est pourquoi, j’ai adopté comme règle de savoir rester à ma place.
Je négocie simplement le montant de ma collaboration avant d’opérer de manière nette et rapide. À chacun son métier.
Jusqu’à présent, je n’ai jamais commis la moindre erreur et je me félicite d’être un professionnel toujours très demandé et loué pour son excellence. Lorsque j’étais jeune, j’étais en quête d’un emploi qui me permettrait d’organiser librement mes horaires. Je souhaitais par ailleurs œuvrer seul, vite et bien. Ce sont ces exigences qui m’ont amené à devenir l’homme que je suis. Je sais que la société réprouve a priori mon type de parcours. C’est toutefois moins l’appât du gain que la particularité du travail qui me grise. J’aime le secret, l’effet de surprise, la longue préparation sourde et minutieuse de mes interventions durant des semaines qui annoncent des actions foudroyantes. Avant d’être accomplies, celles-ci supposent beaucoup d’investigations réalisées en amont du moment T, c’est cela qui m’excite plus que tout et me plonge à chaque fois dans un état second.
N’exagérons rien. Je n’irais tout de même pas jusqu’à dire que j’avais la vocation.
Lorsque j’étais enfant, j’étais doux et sage. Trop doux, trop sage. Comme beaucoup de gamins, je changeais régulièrement de projet d’avenir. Un jour, je rêvais de devenir chirurgien, le lendemain, je voulais plutôt être vétérinaire ou bien pilote de ligne, écrivain, violoniste, architecte, danseur, fakir ou encore coureur cycliste. Je puis dire que j’ai vraiment passé toutes ces activités en revue. Mais finalement, je n’en ai retenu aucune, car j’ai choisi la voie majestueuse du crime. Il faut dire qu’à la différence de la plupart de mes concitoyens, j’ai toujours été dépourvu de préjugés.