Entretien avec Jean-Christophe Cassel auteur De l’aube les ombres

Entretien avec Jean-Christophe Cassel auteur De l’aube les ombres

Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?

Je dois reconnaître avoir éprouvé une certaine satisfaction en tenant ce recueil entre mes mains. Le fait de pouvoir l’ouvrir, le refermer, le feuilleter et de voir mes textes se côtoyer s’est imposé à moi comme le dernier pas d’un projet marqué par l’hésitation et le doute. Nombre d’interrogations m’ont habité : mes textes ont-ils un quelconque intérêt pour quelqu’un d’autre que moi ? Un lecteur pourra-t-il en comprendre l’architecture et le sens que j’ai cherché à leur donner ? Mon écriture est-elle assez maîtrisée, suffisamment expressive pour être digne d’une publication ? L’est-elle d’être parcourue par un lecteur que je ne connaîtrais pas personnellement ? Trop souvent je me répondais par la négative et je remettais à plus tard l’idée de rassembler une partie de mes écrits dans un livre. Un jour je l’ai fait, sans vraiment comprendre ce qui s’était passé en moi. Une vague perspective jalonnée par des hauts (peu) et des bas (nombreux) devenait réalisation et je dois bien reconnaître que j’ai apprécié les différentes étapes vers cette concrétisation, dont la parution du livre fut l’apogée. Etant chercheur, j’ai une grosse pratique de l’édition scientifique, mais je n’en avais aucune de l’édition littéraire. J’ai pu me rendre compte que globalement, les deux opérations se développaient selon un plan assez comparable : on soumet un manuscrit, un comité de lecteurs (de pairs experts, pour les sciences) donne son avis, l’éditeur prend une décision, le texte est mis en forme, les épreuves sont relues et corrigées par l’auteur, qui transfère un copyright à l’éditeur, le texte est publié et diffusé. Ce qui distingue les deux ‘écosystèmes’ : en sciences, on notera une temporalité beaucoup plus rapide qu’en littérature, l’absence de droits d’auteur, une nécessaire validation des méthodes et des données, comme de l’interprétation, toujours en amont de toute parution et par des pairs, spécialistes du domaine.

Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?

Je n’ai pas eu énormément de retours de mes lecteurs. Les quelques-uns avec lesquels j’ai pu échanger au sujet du livre m’ont dit avoir apprécié ce que je leur livrais dans le recueil. Une partie d’entre eux m’ont confié que nombre de mes poèmes les avaient touchés et qu’ils avaient découvert dans mes textes des facettes de ma personne, de ma sensibilité, de mes émotions, de mes interrogations et de mes doutes qu’ils ne connaissaient pas, voire qu’ils n’avaient jamais soupçonnés. Je n’ai pas été chaviré ou surpris par ce propos, car je sais qu’oralement je je fais assez peu de confidences sur ce qui m’anime, me bouleverse, m’attriste ou me fait palpiter. Cependant, lorsque j’écris – lorsqu’on écrit – la mise à nu de soi-même est de rigueur. Je ne pense pas qu’on puisse écrire de la poésie – et probablement écrire tout court – en restant dissimulé sous une cape ou dans la fraîcheur de l’ombre d’un tas de grumes à l’orée d’un bois obscur. La poésie traverse les bâillons, elle ne connaît pas d’entrave et elle parle malgré soi, parfois même contre soi, au point que ce qu’elle dit peut aller jusqu’à rester un peu mystérieux pour son auteur. Tout cela a fait qu’une partie de la surprise que m’ont communiquée quelques lecteurs, je l’avais éprouvée en me relisant et en découvrant dans mes mots certaines choses que je n’y avais pas placées sciemment.

Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?

J’en retiens surtout que l’autocensure et l’inhibition ne sont pas forcément les meilleures alliées lorsque, en soi, quelque chose cherche à se dire par le truchement de l’écriture, et plus généralement par quelque moyen que ce soit. J’en arrive même à entrevoir que la perspective de la publication d’un livre peut fonctionner comme un véritable moteur, pas forcément pour écrire davantage et plus vite, mais pour essayer de le faire encore mieux, avec un surcroît d’intransigeance sur la qualité formelle et fondamentale de la substance écrite. On ne le fait plus que pour soi-même. D’emblée, on sait qu’on s’adresse à l’autre.

Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?

Je crois pouvoir dire que De l’Aube les Ombres est un recueil dont les textes oscillent entre lucidité assumée, vertige existentiel et mélancolie profonde, cependant féconde. Il me semble que mon livre explore quelques-unes des grandes tensions de l’expérience humaine : la fragilité du vivant, la perte de l’autre (parfois de soi), la mémoire, la solitude, la mort, le pouvoir des mots, les métamorphoses du réel et l’élan inépuisable de la sensibilité dans les ressorts du langage. L’imaginaire y est proposé dans une déclinaison sensorielle et visuelle. Il s’appuie sur des images parfois (très) fortes : corps disloqués, océans tempétueux, neiges, éclats de lumière avec leurs ombres, animaux, feu, débris, malaises, fantômes. Même si elle ne cesse de constater un inexorable affaissement du monde, ma poésie tente de le retenir, espérant, très naïvement sans doute, mettre un minuscule coup de frein à sa déliquescence, à son effritement, a minima dans l’imaginaire qui est le mien. L’ensemble forme une sorte de cosmologie intime, où chaque poème structure une expérience qui se veut fondatrice : regarder, se souvenir, aimer, perdre, tout en tentant obstinément d’installer le propos dans une langue expressive, rythmée, soignée et accessible. Le recueil mêle solennité méditative et fulgurance sensuelle, élégie et ironie, douceur et violence, au cœur d’un paysage intérieur blessé par les contradictions et le détachement de l’humain, paysage dont j’essaie de promèner les contours lunatiques sur les flancs d’une fourmilière instable, en permanente demande de cohérence.

Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?

Je n’ai pas de rituel digne de ce nom, pas plus que je n’aurais d’astuces, au sens d’une combine qui permettrait au fait d’écrire de se dérouler avec plus de facilité ; écrire est, pour moi, un acte difficile, interminable, qu’il faut pourtant savoir arrêter (et je ne sais pas très bien faire ça). Mais j’ai quelque chose qui pourrait s’apparenter à une méthode : lorsqu’une idée me traverse, parfois sous la forme de seulement quelques mots dont la sonorité m’interpelle, je prends des notes, presque toujours à la main (le plus souvent avec un stylo Bic), sur un bout de papier rectangulaire de 10 × 7 cm, sans lignes. Le papier peut être jaune, vert ou bleu, parfois blanc. A vrai dire, la couleur n’a aucune importance. Mes post-it improvisés (qui ne collent pas), je les glisse dans une demi-douzaine de bouquins posés ici ou là dans la maison, dont je lis quelques pages à tour de rôle, sans ordre particulier. Ce sont presque toujours des livres de poésie, anglaise, américaine, allemande, parfois hongroise, et française bien sûr. Le plus souvent, je prends mes notes le soir, entre 20 h et 22 h. J’écris ce qui me vient, sans m’interroger sur la lisibilité ou le sens de ce que j’assemble, ni d’ailleurs sur la qualité ou la mise en forme de mes mots et de mes lignes. C’est spontané, et parfois le résultat ressemble à du grand n’importe quoi, sur le plan du fond comme de la forme ; il m’est même arrivé de ne pas réussir à me relire. Mais le cliché est saisi dans un premier jet qui matérialise et emprisonne une partie de l’émotion créatrice. Après, il m’arrive d’abandonner ces notes pendant plusieurs semaines avant de les reprendre en mains. C’est presque toujours le matin, entre 6 h 30 et 8 h 30. Je les retranscris à l’aide d’un ordinateur en utilisant un logiciel de traitement de texte classique. C’est là que commence le vrai travail, autant sur le sens et le choix des mots que sur le rythme et la sonorité des vers. Certaines fois, le texte se structure dans une version finale en quelques minutes. D’autres fois, et c’est le cas le plus fréquent, j’y reviens de très nombreuses fois avant de parvenir à une version qui me convienne, mais sur laquelle je ne peux m’empêcher de revenir à deux ou trois reprises. Je n’utilise presque jamais la ponctuation, qui me semble imposer une certaine manière de lire un texte. Ne pas ponctuer, lorsqu’il s’agit de poésie, c’est laisser au lecteur la liberté de se saisir du texte comme il l’entend. Lorsque je suis satisfait d’un premier résultat, je le sauvegarde en intégrant un numéro au nom du fichier afin de pouvoir suivre la chronologie de ce que j’ai écrit.

Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?

Oui, j’envisage d’écrire un autre livre, voire plusieurs. Je dispose d’ores et déjà d’un thésaurus de plusieurs centaines de poèmes que j’ai, au cours des dernières années, sauvegardés selon un ordre quasi chronologique sur un disque dur. De l’Aube les Ombres est une sélection dictée par l’émotion d’un jour parmi les 286 premiers textes d’une nouvelle série ; j’en ai écarté la moitié environ. J’ai également écrit plusieurs dizaines de haïkus et quelques nouvelles (possiblement trop longues), ainsi que deux recueils plus anciens, inédits, sur lesquels il faudrait que je puisse remettre la main à l’occasion. Je sais bien que premier pas vers un nouveau livre consistera donc à faire un gros travail de tri dans tout ce matériel, et plus le temps passe, plus le travail d’archéologie devra être minutieux. Pour l’heure, je ne parviens pas à l’entreprendre. C’est probablement une question d’état d’esprit. Sans les catalyseurs adéquats que sont un état d’esprit pleinement compatible et une disposition du cœur intégralement constructive, bref une sorte d’abandon prolongé de soi-même à l’émotion, un livre ne dépassera que très difficilement le stade d’une pile de feuilles volantes, même si ces dernières consignent et transportent déjà du texte.

Jean-Christophe auteur du livre De l’aube les ombres sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.