Pic de Bure

Plusieurs histoires se croisent.
Celle du narrateur, atteint d’une hépatite C au début des années 80.
Celle de cette maladie agressive et chronique, de sa mise en évidence par les médecins quelques années plus tard jusqu’à son traitement par des trithérapies efficaces depuis 2015.
Celle d’une époque et de personnages qui la traversent.
Celle de la relation qui se tisse entre le Professeur lyonnais, aux commandes de la recherche virologique, et son patient.
Celle du parcours parallèle du frère en proie à une autre maladie du siècle.
Celle de rencontres qui inspirent, s’imposent ou ne font que passer.
Celle des mots qui emportent un peu plus loin.

Lyon, Croix-Rousse

Le lecteur suivra le narrateur dans le vif de ses souvenirs, s’écartant parfois de la chronologie, sans s’éloigner cependant de la chronique, guidé par les références, les précisions topologiques et les repères temporels qui jalonnent le récit.

Extrait de  Chronique  par Alain Trouillet

Sur les hauteurs des calanques, accroché au plateau où viennent échouer les poussières d’eau de mer quand l’Orient se vente. Au milieu des rocailles et des aiguilles des pins d’Alep. À cet endroit où le végétal végète et le minéral s’étend. Il grandit. Là. Et là aussi, un peu plus loin. Porté par sa volonté d’aller au plus près de la lumière du ciel, il se hisse. Telle une hampe. Issue du centre de l’agave. Droite. Rectiligne. Elle croît. Cette scène va s’étaler sur plusieurs mois, jusqu’au cœur de l’automne peut-être, période à laquelle la rosette de feuilles mères, épuisée par la production de graines et de plantules, va peu à peu se faner. Auparavant, pour se développer et atteindre les dix mètres visés, elle se ramifie et crée des panicules étalées de fleurs verdâtres, comme les étapes de l’ascension, des temps de répit, des paliers : les marches vers le soleil, magnifiées par les silhouettes dentelées qui alors se découpent sur l’azur, vues d’en bas. Car toujours le regard vers elle est une contre-plongée. Elle est si haute. Et l’agave sait. Il sait que cette aventure sera première et ultime. Que cette aventure sera unique. Oui, ce sera sa seule floraison. Après une vingtaine d’années d’attente au creux de cette rose aux feuilles épaisses, aux pointes acérées. Redoutables. Défensives. Protectrices. Alors, encore la hampe se hisse. Un peu plus. Et l’agave devient pétales. Fleurit. Au paroxysme. Et puis. Quand l’hiver et ses bourrasques et ses froids et ses gris attristés auront raison de son ardeur, l’abandonnant, immarcescible, desséchée et fragile. La fleur tombera. Entraînant toute la plante vers une fin inéluctable. Théâtrale. Tragique.

Affiche Maïakovski

Il aura été beauté. Le temps d’un été. Il aura été. Avant de chuter. De périr. Alentours, les graines disséminées par les éléments venus de la cime, les plantules gisant au sol. Sur le pourtour, les rejets encore présents. Toute cette force. Toute cette promesse de descendance. Toute cette renaissance germera. À coup sûr. D’abord éclore. Renaître. Puis reprendre l’attente. Patiemment. Avant une amorce. Avant qu’une nouvelle fleur s’élève. Repartie de rien. Ou presque.