Dans cet ouvrage, je m’attache à montrer que, lors des grandes chasses aux sorcières du XVe au XVIIIe siècle, la représentation du corps de la sorcière, qui se superpose le plus souvent à celui de la femme, n’est en rien neutre.

Inspirée par les traités de démonologie et les superstitions populaires, elle témoigne, par-delà les images et les mots, des angoisses d’un monde qui a le sentiment de s’écrouler et véhicule les normes dont il voudrait se doter. La sorcière maléfique qui apparaît alors est une construction purement intellectuelle, une sorcière de papier, dont furent victimes des milliers de femmes. Je convie les lectrices et les lecteurs à déchiffrer les œuvres des peintres et des poètes qui, du XVe au XVIIe siècle, ont nourri ce fantasme et ainsi contribué, consciemment ou inconsciemment, à ancrer cette image.

Extrait de Corps de Sorcières – Par-delà les images et les mots … de Marie-Noëlle Faure

Mais une sorcière est-elle seulement capable de repentir ? Libuschka, héroïne du roman picaresque de Grimmelshausen, Vagabonde Courage, qui partage de nombreuses caractéristiques avec la sorcière, est une femme vieillissante lorsqu’elle est censée écrire son autobiographie, et pourtant elle ne montre pas le moindre signe de culpabilité et a fortiori de repentir. Sorcière un jour, sorcière toujours. Incapable de renoncement, elle s’obstine dans ses erreurs alors que son ancien amant Simplex a choisi de se retirer du fracas du monde pour mener une vie d’ermite. L’homme sur le chemin de la rédemption ? La femme, éternelle pécheresse, sur celui de la damnation ? Incapable d’élévation spirituelle, Libuschka demeure prisonnière de sa quête du plaisir et de ses désirs.

Refusant le flétrissement de ce corps autrefois magnifique, dont elle faisait commerce, et dissimulant sa beauté fanée sous des fards, elle veut encore et encore séduire, quitte à perdre la place qui lui échoit dans la société. Fille illégitime d’un noble tchèque, elle ne cesse de brouiller les codes et la hiérarchie. Son obstination la conduit à franchir les lignes, à transgresser les interdits. Sa déchéance sociale, annoncée dès la première ligne du prologue, fait écho à la chute originelle. Son errance sociale et sentimentale reflète le chaos, le désordre anxiogène que la femme, la sorcière ou bien encore l’éternelle femme-sorcière introduisent dans le cosmos, dans un monde ordonné et hiérarchisé, donc rassurant.