Nous sommes en pleine “décennie noire”, cette confrontation en Algérie entre les groupes armés islamistes et les forces de sécurité qui a fait des dizaines de milliers de morts et à laquelle les civils ont finalement payé le prix.
Une famille algéroise plutôt ordinaire est prise dans la tourmente de cette guerre. Elle incarne la terreur à laquelle ont été soumis les Algériens, désormais liés par le seul sentiment de la peur. On quitte son domicile le matin sans être sûr d’y revenir le soir parce qu’on peut être tué sur le chemin. On quitte ses collègues en fin de journée sans être sûr de les revoir le lendemain parce qu’on peut être tué chez soi.
Sur le fond de cette terreur, a lieu une rencontre improbable entre deux personnes que tout sépare : un avocat franco-algérien libertaire et une professeure de littérature issue de cette famille conservatrice. La rencontre fortuite, censée se terminer aussitôt qu’elle a eu lieu, a fini par une engendrer un amour tout à fait inattendu qui va être soumis à l’épruve de la terreur.

Extrait

Kamel s’avança. Avec hésitation. Sur son visage s’affichait une tristesse trop claire pour être cachée par son élégance. Il était clairement accablé. Il semblait porter un fardeau invisible, mais lourd comme une menace. Ou un secret. Il réclama à son tour une pelle. Il manqua de la lâcher aussitôt saisie. Il s’essuya le front du dos de la main, marqua un nouveau temps d’hésitation en regardant le tas de terre humide, puis y enfonça la pelle. Ce faisant, il eut la sensation d’avoir le cœur pénétré par un poignard. Sur son visage caressé par un friselis, se dessina une moue de douleur. Il aspira une bouffée d’air et s’éventa de la main pour chasser la chaleur qu’il sentait monter en lui. Il leva un regard humide vers le ciel bleu strié de quelques fins écheveaux blancs. Le cimetière était inondé d’un doux soleil d’automne. Les yeux de Kamel balayèrent ensuite les collines et plongèrent dans la mer. Une émotion intense semblait lui tordre le corps. Elle gonfla comme une vague et vint déferler en larmes sur son visage, formant une constellation avec la sueur. Il eut ensuite les épaules secouées par des sanglots qu’il avait pu étouffer pour faire bonne figure d’homme. Il s’appuya d’une main sur la pelle. De l’autre, il sortit un mouchoir de la poche de son blazer pour s’éponger. Il eut subitement l’impression d’être absorbé par un long tunnel obscur. Ses jambes fléchirent et il bascula de tout son corps. Il fut intercepté par des bras qui se sont tendus au moment où il allait atterrir dans cette béance qu’il voulait aider à refermer, sur le corps d’une femme qu’on venait d’inhumer.