Depuis longtemps, les crimes non élucidés ont nourri l’imagination et suscité des explications les plus extravagantes les unes que les autres. Celui qui fut commis dans la nuit du 20 au 21 avril 1796 au château de Vitry-sur-Seine, en France, n’échappe pas à cette règle. Son mystère tient en peu de mots : six personnes sont retrouvées atrocement assassinées alors que rien d’apparence leur a été volée, un enfant « chappe à cette tuerie, on ne sait pas pourquoi ni comment. Une enquête de police bâclée dont les dossiers disparurent aussitôt, voilà les ingrédients de cette énigme qui n’a pas encore été résolue. L’auteur a entrepris une enquête qui l’a mené à une seule certitude, celle que cette affaire n’a rien d’un banal fait divers. Les vicissitudes de son époque ne suffisent en effet pas à l’expliquer. Pauvre époque d’ailleurs du point de point de vue économique et social mais époque riche en enseignements politiques que celle du Directoire, brève transition démocratique entre la royauté de droit divin et l’autocratie napoléonienne que la Révolution purgée de ses excès terroristes rendait pourtant possible. Le lecteur averti découvrira dans ce livre des personnages connus sous un nouveau jour et des inconnus dont les comportements singuliers éveilleront son intérêt. Les chercheurs y puiseront la matière à poursuivre l’enquête afin d’éclairer davantage le mystère qui leur est livré encore entier et dont l’élucidation aurait toutes les chances de s’avérer étonnante, voire détonante si de nouvelles contributions venaient à l’enrichir de témoignages originaux.

Voilà l’occasion de retrouver des historiens passés de mode tels que Georges Lenotre ou Léonce Grasilier qui ont consacré au crime de Vitry des ouvrages sans lesquels celui de JJB n’aurait pas vu le jour.

Extrait

Introduction

Au printemps 1796, les Français n’avaient pas encore achevé leur première grande Révolution et déjà, la jeune République rencontrait les obstacles qui mettront fin à sa courte existence. Après la chute de la royauté et de Robespierre, la France connaissait une période particulièrement chaotique. Alors que Gracchus Babeuf et ses compagnons projetaient de renverser le gouvernement directorial pour instaurer un « bonheur commun » proche du communisme (1), le retour en France des émigrés annonçait celui de la monarchie que beaucoup de citoyens espéraient plus ou moins secrètement. Les gazettes se faisaient l’écho des protestations contre la hausse des prix et contre la dévaluation monétaire qui poussaient au désespoir, et souvent au suicide, bon nombre de Parisiens ruinés auxquels la Seine donnait le dernier moyen d’en finir avec une existence misérable.
Le 14 mai de cette année-là, un journal peu républicain dressait l’inquiétant tableau de la situation intérieure dans laquelle se trouvait le pays :

« Le mois dernier [avril 1796] a présenté une multitude d’événements de la plus haute importance… des assassinats continuels dans les villes, dans les campagnes & sur les grands chemins ; des massacres horribles dont les auteurs sont en jugement, dont les complices sont les juges & dont les ordonnateurs sont des législateurs ; une amnistie générale projetée, attaquée par les uns, approuvée par les autres, restreinte par ceux-ci, étendue par ceux-là ; une légion de polices qui, semblable aux Janissaire ou aux gardes prétoriennes, se soulève dans Paris même contre l’autorité qu’elle protégeait, & qui se laisse désarmer par cette même autorité qui ne pouvait rien sans elle ; .. des marchands pillés dans leurs boutiques… » (2).

Voilà en peu de mots exprimée l’opinion d’une feuille d’opposition dont bon nombre de Français partageaient l’analyse. La sécurité publique menacée par ses propres garants, un retour à la modération factice, la faim et la peur pour tous : que de dysfonctionnements attentatoires aux idéaux républicains proclamés cinq ans plus tôt ! Que de désillusions ! Que d’ironiques critiques malheureusement fondées !