Description
Avant même que le premier confinement ne soit décidé en France en mars 2020, j’ai eu un avant-goût concret de ce que nous allions tous connaître par la suite en étant confinée sur un paquebot de croisière où un premier malade du COVID 19 a dû être débarqué. Alors que tout au long du voyage durant trente jours la quasi-totalité des ports où nous devions accoster nous fermaient leurs portes, nous amenant à être des voyageurs fantômes, nous subissions jour après jour des restrictions supplémentaires allant jusqu’au confinement dans nos cabines avec l’interdiction absolue d’en sortir. Les repas étaient déposés à même le sol devant la porte des cabines ( sauf si on nous avait oubliés), et personne ne savait quand et où le voyage allait se terminer.
Depuis ce moment, il y a eu un changement de regard sur l’extérieur qui s’est produit en moi. Pendant trois jours où nous attendions l’autorisation de débarquer à Civitavecchia, j’ai vu que le temps s’était arrêté. Dehors, sur les quais, sur la route qui menait au port, seuls quelques mouettes et chats errants, mais pas un seul être humain. Une fois rentrée à la maison, j’ai essayé d’imaginer le vécu des autres, ceux qui, par exemple, vivent à Paris dans de petits logements et qui tournent en rond.
Trop de temps tue le temps, tout comme trop de chiffres et affirmations fallacieuses n’apportent ni réconfort ni solution. Comme il me semble évident qu’au bout de cette période où nous vivons entre parenthèses, notre vie ne sera plus comme avant, j’ai voulu introduire, quand c’était possible, une note d’humour pour égayer un quotidien souvent déprimant.
Extrait
« Avenues nues d’allers et venus, goudron luisant comme l’eau de la Seine. Les façades des immeubles bâillent en se regardant, elles n’ont rien d’autre à faire. Les devantures des magasins plombées par des rideaux de fer dépriment. Leurs vitrines aux promotions futiles exhibent leur cœur en verre insensible.
Derrière les fenêtres des chiens assis de paresseux chats se prélassent. De leurs yeux de jalousie ils suivent les pigeons qui se promènent dans la rue et sur les toitures voisines. Incorrigibles volatiles réfractaires au règlement de rester plantées sur les arbres du parc Monceau. Au parc Montsouris les rats des égouts rient en sautant à la corde. Les jardins publics et les squares se languissent des nounous dodues avec leurs landaus. Fermés aux chiens et leurs maîtres, ils jouent les nuits et les jours derrière un guichet clos et ne font plus recette. Plus de papiers d’esquimaux dans les poubelles ni de doudou oublié sur un banc.
Un chat de gouttière aussi moche qu’insolent s’installe devant la fenêtre. Plante son nez devant la prison dorée du gros chat persan et remue ses moustaches. Les longs poils soyeux de Son Altesse le Chat enragé se dressent. Il sort ses griffes, prend un air menaçant. Dans l’immeuble haussmannien, la tension est à son comble. Les deux se dévisagent en chien de faïence : il y a du mépris réciproque, de la haine en l’air. On dirait le grésillement de téléphones, mais ce n’est qu’une décharge d’électricité entre deux adversaires, un chat de race et un chat ordinaire. Guerre où le plus fort va se retirer et remporter la bataille. »