À l’origine, ce livre était une forme de thérapie. Une tentative, plus de quinze ans après les faits, de faire enfin le deuil, de poser des mots sur l’inacceptable, et peut-être d’entrevoir l’acceptation, par l’écriture. Mais au fil des pages, j’ai compris que ce récit pouvait avoir une portée plus large. Qu’au-delà de mon propre apaisement, il pouvait devenir une main tendue. Car nous sommes nombreux à porter des blessures invisibles, à tenter de nous reconstruire dans une solitude parfois écrasante.

Si ce livre peut, ne serait-ce qu’un instant, aider, soutenir, ou simplement faire écho à celles et ceux qui traversent les mêmes ombres, alors il aura trouvé tout son sens.

Extrait

Je ne savais pas encore ce que cela signifiait, mais l’émotion qui m’envahissait était écrasante. Une peur primaire, un sentiment d’urgence que je ne comprenais pas. Mon esprit s’embrouillait, je sentis les larmes monter, brûlantes, incontrôlables. Mon cœur battait si fort que je craignais qu’il n’éclate. J’ai murmuré une excuse, une phrase brève, presque inaudible pour m’enfuir. Mais ce n’était pas un simple prétexte. Dans mon lit, l’agitation persistait. Mes pensées tournaient en boucle, comme un film dont les scènes se répètent sans fin. Je tentais de comprendre ce qui venait de se passer, mais les souvenirs étaient flous, incomplets. Pourtant, quelque chose de profond, d’enfoui, semblait vouloir refaire surface. Et soudain, il est revenu. Ce souvenir…

J’avais 17 ans, à peine. Une soirée comme tant d’autres, ou du moins, c’est ce que je pensais. Je voulais vivre, goûter à cette liberté que je voyais chez les autres. Un ami plus âgé m’avait emmenée, me promettant une nuit inoubliable. Je me souviens de mon excitation, de mon envie de briser les règles, de prouver que j’étais prête à entrer dans ce monde des adultes. La maison était grande, bruyante. La porte était rouge. Rouge vif. Des gens partout, des rires, de la musique. L’air était saturé d’odeurs d’alcool et de tabac, une atmosphère à la fois grisante et oppressante. Je me souviens d’avoir tenu un verre dans ma main, puis un autre, et encore un autre. L’ivresse est montée rapidement, floutant ma perception, altérant mon jugement.

Après cela, tout est flou. Des fragments d’images, des sensations. Une silhouette, des éclats de voix, un sentiment de malaise. Mais tout cela, je l’ai vu à travers un voile, comme si les images elles-mêmes se dissolvaient à chaque fois que je tentais de les fixer. La silhouette se fondait dans l’obscurité, flottait puis se rétractait, comme une ombre qui ne voulait pas exister pleinement. Mon esprit a verrouillé les détails, comme pour me protéger. Mais ce que je sais, c’est que quelque chose s’est passé cette nuit-là. Quelque chose que je n’étais pas prête à affronter, ni à nommer. Le lendemain, je me suis réveillée chez moi, noyée dans une confusion insondable, un poids dense sur le cœur que je n’arrivais pas à comprendre. J’avais enfoui ce souvenir, le plus profondément possible. Comment est-ce possible d’avoir oublié tout ce temps ?

J’avais enfoui ce souvenir, l’ayant replié sur lui-même, espérant qu’il se dissiperait comme un nuage. Mais l’air chargé de cette nuit-là, avec ses éclats de rires et cette porte rouge, revenait en moi comme une marée qui submerge tout sur son passage. Il m’a frappée comme un éclair, me paralysant. L’image de cette porte rouge, imposante, brûlante, a dévoré la lumière autour de moi, plongeant l’instant dans une obscurité oppressante, presque suffocante.

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