Le livre aborde le parcours de la trompette (et du cornet) depuis 1826 à travers les artistes les plus influents ou les plus célèbres. Il s’agit d’une collection de biographies de trompettistes avec un soupçon autobiographique que les relie entre elles. L’année 2025, est celle du bicentenaire de naissance de Jean-Baptiste Arban (fondateur du style français de cornet et trompette), et celle de la 100e année de deux instrumentistes de haut vol, Pierre Pollin et Roger Delmotte, qui sont abordés largement dans ce livre. Les biographies de Roger Guérin et Roger Delmotte sont les plus documentées jamais publiées en France et ailleurs. À travers l’activité de trompettistes fameux, l’auteur retrace une époque privilégiée de la musique en France (de Ravel à Charles Trenet, en passant par Charles Munch, Ray Ventura, André Jolivet, etc). Ce travail de mémoire, riche en anecdotes, souvenirs personnels et en contexte historique, offre une plongée fascinante dans le XXe siècle musical.

Michel Laplace, Elisabeth Nouaille-Degorce, Roger Delmotte, 2017, photo Lisiane Laplace

Avant-propos

Cet ouvrage est dédié à la mémoire du trompettiste suisse Jean-Pierre Mathez (1938-2023) qui fut le premier à me solliciter officieusement puis officiellement en tant que rédacteur dans sa revue Brass Bulletin qui, selon moi, est le point de départ d’une internationalisation des connaissances dans le domaine des cuivres. Il fut un coach dans l’art de tout dire mais avec la façon.
Mémoires : un recueil de souvenirs rédigé à propos d’êtres, d’événements historiques ou anecdotiques. Ce sont les mémoires de vous, trompettistes ! « Memories of you » aurait dit le pianiste-compositeur Eubie Blake (1887-1983). Ici, ce sont les traces compilées de vos faits et actes, afin d’écarter l’oubli et/ou de vous faire connaître. Un devoir de mémoire, donc. Préserver et transmettre aux plus jeunes la mémoire de vos valeurs et, rétrospectivement, de votre contribution artistique. Ce sont aussi les mémoires de moi avec vous. D’où, pour le coup et à cette occasion, des souvenirs personnels mêlés à vos parcours. Bien-sûr, l’ouvrage est destiné à vous inscrire chronologiquement et si possible durablement dans une mémoire collective. Donc, il a aussi été écrit pour les lecteurs concernés par la musique et la trompette en France, principalement celles du XXe siècle.

Laurent Pichonnat, Eric Bilbille, Freddy Legendre, Michel Lalace, 2024 photo Lisiane Laplace

J’ai procédé à une compilation de textes confidentiellement parus (mais modifiés) avec d’autres inédits pour couvrir l’épopée de la trompette en France. Les redites permettent de lire et relire séparément chaque chapitre. À une exception près (Hulin), je n’ai sélectionné que des artistes que j’ai connu dans la vraie vie, ce qui explique l’absence de musiciens reconnus comme Marcel Lagorce, Jean Greffin ou encore Fernand Verstraete et Ivan Jullien (ces deux-là, rencontrés une seule fois), néanmoins inévitablement cités ici ou là. Pour la période d‘avant 1945, en plus de l’étude des documents d’archives (méthodes, disques…) j’ai bénéficié de la fréquentation de survivants de l’époque, aux mémoires vivaces, ce qui a permis des remises en perspectives que je crois fondées. Ce panorama débute donc en 1826, année des débuts de l’utilisation de la trompette à pistons en France. Pour le reste, je l’ai vécu avec passion. L’après-guerre de 1945 à 1963 fut l’époque d’une consommation frénétique de toutes les musiques (classique, jazz, variétés), soutenue par l’explosion de la production de disques et l’impact de la radio. Il y eut donc une offre d’emploi considérable pour les musiciens, dont les trompettistes, surtout en jazz-variétés tant en section d’orchestres nombreux qu’en soliste. J’ai découvert Roger Guérin avant de débuter la pratique de la trompette. Mais j’ignorais alors le travail de pionnier de son alter-ego, Roger Delmotte, dans le domaine du concertisme classique. Solistiquement, 1950-60 furent, en France, les années de Fred Gérard, Georges Jouvin, Roger Guérin, Roger Delmotte… que la vie m’amena à connaître en personne. J’ai débuté la trompette au moment du décès de Raymond Sabarich dont l’impact restait vivace et pendant la période de montée en puissance du concertisme classique de la trompette (1963-72) d’où émergeait pour les mélomanes un certain Maurice André. On peut placer une fin de période autour de 1975, date d’un tassement des affaires et surtout d’une perte progressive d’activité des artistes nés dans les années 1920 (Delmotte, Guérin, Gérard…) au profit d’une nouvelle génération lancée sur le chemin tracé par Maurice André (Dutot, Touvron). J’ai vécu activement cette deuxième phase, celle de la consécration et de l’internationalisation de la trompette solo classique (1972-80), autour de l’activiste Jean-Pierre Mathez et de la naissance des associations de trompettistes aux USA et en France. Au XXIe siècle, époque d‘une hyper-susceptibilité, on ne manquera pas de remarquer une faible place faite à la diversité et aux femmes. L’auteur ne fut toutefois pas le dernier à avoir consacré des articles dans les revues internationales, Brass Bulletin et Jazz Hot, à ses amis artistes noirs, pas seulement de jazz (Joe Wilder, Jh 667; Wilmer Wise, Jh 670 – 2014) et aux femmes notamment à sa regrettée amie Edna White dont il publia à son propos le premier article de prestige (BB 48, 1984). Mais il s’agit là des États-Unis. Ce ne fut pas avant 1964 que fut délivré pour la première fois en France, un 1er prix de trompette à une femme, Erella Chibovsky-Back (1944-), élève de Raymond Sabarich au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSMP). Mais elle retourna donner sa contribution en Israël. Les faits sont ce qu’ils sont. Ici, il ne s’agissait pas d’imaginer, d’après le présent, un passé qui lui serait un vague antécédent primitif et qui le justifierait. Non, pendant 55 ans, j’ai simplement tenté d’assembler les pièces du puzzle des faits passés tels qu’ils furent vécus et s’imbriquent, avec chronologie et synthèse.

Jean-Baptiste Arban, v1880, DR

Il me faut remercier mon épouse, Lisiane Laplace qui me constitua une documentation photo et audio. Je remercie aussi Lisiane Laplace et Laurent Verdeaux pour le travail ingrat de relecture. Je remercie également Jorge Garcia pour la mise à disposition de mes propres archives qui, depuis 2022, sont hébergées à l’Institut de la Culture de Valence, en Espagne. Je n’oublie pas Fabian Flament qui m’a poussé à écrire à nouveau. Sans eux, et sans les contributions orales de Maurice André, Roger Delmotte, Roger Guérin, Jacques Jay, Pierre Thibaud, Loulou Vezant, ou écrites par Julien Porret (copieusement), mais aussi Arthur Briggs, André Cauzard, Robert Heurtaux, Dominique Chanson, Edmond Cohanier, Marcel Damant, Louis Davidson, Denis Egan, Robert Fassin, Raymond Fonsèque, Fred Gérard, Guy Paquinet, Raymond Tournesac, Edward Tarr, Henri Van Haeke et j’en oublie, cet ouvrage, témoignage et devoir de mémoire, n’existerait pas.

Michel Laplace, janvier 2025