“L’art n’est pas une affaire de technique mais de vision“,  affirmait Marcel Proust. Pour la vie, il me semble que c’est la même chose : la réalité s’efface devant le regard que l’on porte sur elle. Tout est là, c’est le point de vue choisi qui compte. Toute vie peut devenir un roman et tout personnage un héros.

Tirs Croisés est un recueil de nouvelles qui ont été écrites au fil des années, en fonction de l’inspiration du moment. Elles abordent des situations particulières auxquelles sont confrontés des héros ordinaires, dont les rêves ou les fantasmes se trouvent malmenés par la réalité. Le lecteur comprend souvent qu’ils font de mauvais choix et les voit s’enferrer dans leurs erreurs. Au contraire, il arrive que la tournure de leur vie leur échappe pour le meilleur, ou pour le pire. Ces personnages ne sont caractérisés que par la situation dans laquelle on les rencontre. Leurs attitudes sont très différentes : la mauvaise foi, le déni, l’humour, la déréliction ou l’euphorie se succèdent, et parfois se superposent.

J’ai une grande admiration pour de nombreux écrivains mais aucun ne m’a inspirée. Je me suis inspirée de la vie des autres : les rues, les trains, les salles d’attente, les salons de coiffure sont de merveilleux sites d’observation. J’espère que les lecteurs seront amusés, émus, touchés par ces histoires et se diront que ce personnage, dont ils se moquent parfois avec jubilation, pourrait bien être leur double.

Tirs Croisés par Gabrielle Desnoës

Extrait de la nouvelle “Lettres à Edith”

       “J’ai décidé d’écrire à Edith. Je sais que mes lettres ne partiront pas, qu’elle ne les recevra jamais, ni elle, ni personne d’autre. Est-ce vraiment une raison pour ne pas lui écrire ? Il semble que non puisque le faire me procure par avance un plaisir infini, lui dire enfin tout ce que mon caractère renfermé ne m’a pas permis de lui dire. Quand on est un être pudique on laisse souvent le silence parler pour soi : l’éloquence du silence est un recours précieux mais peut sans doute aussi constituer parfois un piège pour une relation amoureuse. Nous avons vécu côte à côte et sa présence m’a comblé. Je n’avais pas alors le désir de lui écrire, celui dont parle avec humour Rousseau dans cette page célèbre des Confessions : “il quitte sa maîtresse pour aller lui écrire ; je comprends cet homme-là”. Sans doute ne suis-je pas assez narcissique pour cela. C’est un grand artiste, et moi un petit professeur doublé d’un petit chercheur. Mais j’ai aimé profondément une femme alors qu’il n’a sans doute réussi qu’à s’aimer lui-même : ma part pourrait bien être la meilleure.
Ma petite Edith, tu ne peux pas savoir combien tu me manques. Si tu pouvais l’imaginer une seconde, ton cœur se serrerait dans ta poitrine jusqu’à éclater. Ta pensée me suit partout, à chaque instant, c’est pour cela que je t’écris, pour apprivoiser mes obsessions et réussir à leur survivre. Mais tout est si difficile ! …. “