Pierre n’a pas connu Louis, son grand-père décédé avant sa naissance et qui fut officier dans l’armée coloniale.
En débarrassant la maison de sa tante (la fille de Louis) après le décès de celle-ci, il y découvre des écrits qui l’instruisent sur le passé de Louis. Il apprend notamment que son grand-père vécut deux ans dans un village du nord-ouest du Sénégal, après la fin de la guerre de 14-18.

Profitant de quelques jours de vacances, il décide de faire un voyage au Sénégal, de tenter de retrouver les lieux où Louis a séjourné, de découvrir quelques traces de son passage.
Il mène l’enquête dans le village. Un vieil homme lui apprend que son grand-père vécut avec une femme sénégalaise dont il eut un fils peu de temps avant son retour définitif en France, et que ce fils, décédé depuis très longtemps, eut lui-même une fille.
Non sans difficulté, Pierre retrouve cette cousine, Aïssatou, dont il ignorait l’existence. Cette rencontre est un bouleversement pour ces deux personnes qui se découvrent ainsi une nouvelle famille. Pierre et Aïssatou partagent longuement et avec beaucoup d’émotion les informations qu’ils possèdent, l’un et l’autre, sur leur grand-père commun.
Cette histoire est pour moi l’occasion de me pencher sur les relations complexes qui unissent l’Afrique occidentale et la France, d’évoquer, en évitant tout manichéisme, la présence française au Sénégal et ses conséquences jusqu’à nos jours.

Une femme attendait dans la pénombre de la petite maison qui se protégeait du soleil par ses persiennes baissées.
Mince, élancée, elle portait une robe rouge, de style occidental, des sandales en cuir fauve, un chapeau de paille orné d’un ruban vert qui laissait échapper des mèches de cheveux mi-longs, décrêpés. (…) Malgré la pénombre, il me sembla que sa peau était plus claire que celle de Madame Dialo, que celle de tous les habitants de Nguèr Malal.
Sa voix s’éleva, lente et grave, dans un Français sans faute.
« Vous êtes Monsieur Defolin ; vous venez de France ? »
J’acquiesçai. Elle ôta lentement son chapeau et ses lunettes de soleil qu’elle posa sur le rebord de la table. Je remarquai le léger tremblement de ses mains. Je m’avançai d’un pas, scrutai son visage que je trouvai harmonieux et serein. Les petites rides autour de sa bouche, de ses yeux, révélaient son âge : la cinquantaine, comme moi. Je décelai pourtant en elle quelque chose d’anormal, quelque chose qui « clochait ». Il me fallut quelques instants pour réaliser ce que c’était : elle avait les yeux bleus ! Cette découverte me coupa le souffle, accéléra les battements de mon cœur.
Madame Dialo nous invita à nous assoir autour de la table et y prit place également. Elle aurait pu se retirer, préserver l’intimité de cette rencontre ; d’autres auraient agi ainsi. Mais je ne lui en voulus pas. Au contraire, sa présence atténuait le trac, l’émotion de ce tête-à-tête avec cette inconnue qui probablement était ma cousine.
Le doute fut levé dès que la femme sortit une vieille photo du sac qu’elle portait en bandoulière et la posa sur la table devant moi. Mon cœur s’affola : c’était Louis, avec ses cheveux clairs et peu fournis, plaqués en arrière. Louis, sanglé dans son uniforme blanc de l’infanterie coloniale. (…)
Un de ses doigts vint doucement caresser le bord de l’image. Ce geste dénotait du respect, mais également tout autre chose : de la tendresse. Ma voix s’étrangla en prononçant la phrase qui s’imposait, afin de lever toute ambiguïté entre elle et moi : « Cet homme se prénommait Louis, il était mon grand-père !
– Et le mien aussi ! » Souffla-t-elle sans lever les yeux.