Texte inédit de M. Lefebvre – Rendez-vous avec mon cerveau

Retrouvez en exclusivité un texte inédit de M. Lefebvre auteur de Rendez-vous avec mon cerveau.

Bonne lecture !

ALLER SIMPLE VERS MON CERVEAU

Je vous livre une histoire très intime qui pourrait m’émouvoir aux larmes et vous voudrez bien m’en excuser si cela se produit.

 Lorsque j’ai quitté la place que je tenais dans la grande mécanique de la production sociale, j’ai tourné ma vie vers le voyage. Un style de voyage à mon goût : long, sans confort et proche des gens. Je voulais prendre le temps de m’imprégner de ces contrées lointaines qui m’attiraient et des peuples qui les habitent.Ce choix est en accord avec mon principe moteur : vivre l’émotion pour me sentir vivant. Au fil des voyages j’ai affiné mon style. Je voyage à vélo en solo et en autonomie. Et parce que mon horloge biologique dit que je n’ai plus la vie devant moi je me suis programmé un voyage-aventure par an entre mes 50 et mes60 ans, C’est ainsi que j’ai eu la chance de traverser plusieurs pays d’Asie, Laos, Tibet, un bout de chine, Thaïlande, Vietnam Mais aussi l’Espagne d’Est en Ouest.et l’Andorre en hiver. Le dernier en date fut le Népal. Au cours de ce séjour par le jeu des rencontres je me suis trouvé embarqué dans un trek de 11 heures au cours duquel par deux fois j’ai été pris d’un malaise me faisant perdre l’équilibre; sur le moment j’ai conclu que j’étais en hypoglycémie et je n’ai pas voulu abandonner, ni donner mon sac à quelqu’un de notre groupe de marcheurs Je ne le savais pas encore mais il s’agissait de petits incidents vasculaires transitoires que l’on nomme AIT. Pour donner la chance à Stéphanie, ma femme, de connaître un peu le goût de l’aventure nous partons tous les ans un mois visiter en sac à dos un pays. Au retour du Népal nous décidons de nous rendre au Laos où j’avais tant de belles choses à lui montrer. C’est ainsi qu’après toute une nuit passée dans un bus touristique inconfortable, nous rejoignons la ville de PAKSE au Laos depuis BANGKOK en THAILANDE. IL est midi et nous avons faim. Attablés à la terrasse d’une ghesthouse je m’effondre sur mon banc par la coté gauche. Les yeux de Stéphanie sont remplis de frayeur, la soupe que je dégustais coule de ma bouche que je ne peux maîtriser et je perds connaissance. Je viens d’entamer un voyage inattendu au cours duquel je vais rencontrer mon corps et mon cerveau. A l’hôpital de PAKSE le verdict tombe une artère de mon cerveau est bouchée et je fais une hémorragie. Transporté en Ambulance jusqu’à la ville de Bangkok à 800 km de là, je suis opéré onze heures plus tard. Je n’ai que peu de souvenirs de cette expérience et il serait long de raconter les mois d’hôpitaux qui ont suivi.. Je me réveille en pyjama bleu -vert sur un lit d’hôpital d’où je peine a me relever, toute la partie gauche de mon être est paralysée. Malgré toute ma volonté, mon bras refuse de se relever et ma main reste de bois. Cette situation m’est insupportable. Moi qui ai conduit ma vie vers l’aventure je ne peux me satisfaire de la situation. Dans les jours suivants Stéphanie me raconte toutes les péripéties laotiennes puis thaïlandaises qui ont précédé la situation que nous vivons. L’AVC n’ayant en rien changé ma nature je reste combatif et volontaire. Deux jours après l’opération je m’extirpe de mes draps et cramponné au lit médicalisé je me mets debout. C’est là que je réalise l’ampleur des dégâts. Je suis handicapé. 

Les médecins parlent d’hémiparésie. Moi je vois un aventurier détruit. Je ne peux pas l’accepter, pas encore, je n’ai pas fini ma route, je dois visiter la Mongolie , je me l’étais promis. Cette idée sera dans les mois suivants mon principal moteur pour avancer sur la maladie. Couché sur mon lit je fait l’inventaire de ce que je ne sais plus faire : marcher, manger, me laver, aller aux toilettes, m’essuyer les fesses, me gratter le nez, consulter mes mails et y répondre Mon fidèle coursier à deux roues a été remplacé par une chaise roulante qui me permets de temps en temps de mettre le nez dehors.

Je refuse d’être handicapé et j’écoute avec attention les professionnels de santé qui se succèdent à mon chevet. Je veux être acteur de ma guérison. Mon neurochirurgien le Dr SUNSHINE est confiant je suis son meilleur résultat opératoire de l’année. Sa confiance, son sourire, et la musique de son nom me font croire à une possible guérison d’autant que la Mongolie m’attends. Dès lors je rassemble les moyens intellectuels qui me restent pour comprendre ce qui se passe dans mon corps et définir comment je peux pousser vers cette guérison. 

Bien que les termes accidents vasculaires et embolies cérébrales soient dans notre quotidien d’occidental sur-informé, je découvre des détails qui vont servir à ma reconstruction. Lors d’un accident vasculaire un certain volume du cerveau se nécrose, c’est à dire que les cellules nerveuses meurent soit par manque d’oxygène, soit par compression hémorragique. Suivant la localisation et le nombre de cellules détruites cela altère des fonctions différentes de notre organisme. En ce qui me concerne, au delà des fonctions motrices de ma jambe et de mon bras gauche d’autres fonctions sont touchées ; et j’en découvre de nouvelles au fur et à mesure que je m’explore mentalement. Mes recherches m’apprennent que le cerveau humain est doté d’une qualité exceptionnelle la plasticité. Pour faire simple si une chaîne de commande est déficiente par la perte de quelques neurones le cerveau est en capacité de bâtir une nouvelle chaîne de commande suivant un itinéraire de neurones actifs différent du précédent. La Kinésithérapie maîtrise aujourd’hui le sujet. Certains exercices sont là pour tromper le cerveau en s’appuyant sur des gestes réflexes opposés au geste à rétablir. Ce type de stimuli mobilisent des zones différentes du cerveau qui échappent à la conscience Ce sera le début de mon voyage cérébral. Par l’application que je consacre aux exercices je peux refabriquer les connexions perdues. A l’hôpital de Bangkok je bénéficie de deux séances de kiné par jour. On m’ y apprend que je dois me contrôler dans tous mes gestes . Attraper un verre c’est d’abord commander le bras pour conduire la main à l’objet puis ensuite actionner la main pour saisir l’objet en mesurant la force déployée par tous les doigts et rester concentrer sur la main pour que le verre ne tombe pas au sol. IL est compliqué au début d’accomplir un geste aussi complexe. Car a cela s’ajoute la perception de sa place dans l’espace. La taille du verre sa distance par rapport à soi. Cela défie ma compréhension, avant je n’avais pas besoin de toutes ces pensées pour agir. Je ne comprends pas plus comment la force a quitté mon être. Mes muscles sont là tout comme les os qui les supportent. Les pièces de ma mécanique corporelle sont toujours présentes mais rien ne marche. Lorsque je parviens à accomplir un nouveau geste perdus, je m’étonne de ne pas retrouver la force que j’avais avant l’accident , pourtant la connexion neuronale est là puisque je le bouge ; J’apprendrai plus lard qu’il ne suffit pas d’une connexion nerveuse pour mobiliser un muscle, mais plusieurs. C’est leur nombre qui fait la force, Au début de mon apprentissage j’avais quinze fois plus de force dans la main droite que dans la main gauche. Une autre technique fort utile pour fabriquer de nouveaux chemins mentaux c’est la latéralité. Autrement dit accomplir le geste désiré du côté valide en même temps que celui qui ne l’ai pas. Cela aide le cerveau à rebâtir un itinéraire perdu. Cette maladie est particulière car il faut intensément utiliser l’organe touché pour le réparer. C’est une curieuse mise en abîme. Et il y a toutes ces fonctions qui ne sont pas du domaine moteur, conscient qui manquent et qui sont complexes à rétablir mentalement. Je pense en particulier à la maîtrise de sa vessie et de son anus. Après l’avc impossible de bloquer l’urètre et d’empêcher la vessie de se vider dès qu’une simple goutte d’urine est parvenue à sortir, idem pour le popo. C’est là que l’aventurier découvre les joies des couches qui pèsent lourdement entre les jambes . Pas bon pour le moral. C’en est presque traumatisant. Au point de se dire NON c’est trop tôt je ne suis pas encore en fin de vie. IL est urgent de tout rebâtir, mais comment ? Quel est le fil dans mon cerveau sur lequel je dois tirer pour réparer cette fonction. L’image qui venait alors à mon esprit est celle d’une main enserrant un faisceau dense de fils électriques tous coupés a la même longueur et laissant apparaître le cuivre des conducteurs. C’était à moi par la pensée de retrouver le bon conducteur et de le recoller..mais cest lequel ? et le connecter à quoi ? 

A présent j’en suis sûr c’est mon cerveau qui est abîmé. 

Les paroles d’un maître Hindouiste bien connu nommé Sadghuru raisonnaient en permanence.,dans mon esprit : TON corps ce n’est pas toi, ton mental ce n’est pas toi,Tu es le reste. Donc le reste devait agir pour réparer la casse. La casse comme je l’appelle touche également des fonctions cognitives. Quelle est ma position exacte dans l’espace. Où se trouve mon nez, Mon corps est il d’aplomb. Je ne peux plus faire confiance à mon cerveau pour régler tout ça. Je dois en permanence me surveiller et tous les moyens sont bons , une vitre, un miroir pour rectifier une position, un mur pour évaluer une distance. Mais au tréfonds c’est quoi ce fameux reste en dehors du corps et du mental ? l’âme, la méthode, la connaissance, l’amour, l’envie, . Je ne sais toujours pas. Mais ce qui est certain c’est que ce voyage ne peut se terminer sans les autres et en premier lieu sa famille, ses proches : voir Stéphanie courageuse prés de moi durant ce long mois à l’hôpital de Bangkok puis à Perpignan a été déterminant. Je garde un souvenir ému du jour où j’ai été en capacité de pousser mon fauteuil roulant où Stéphanie avait pris place. Ce jour-là nous avons fait un retour triomphant au service de Neurochirurgie. Je me souviens également à quel point le fait de ne pas pouvoir la serrer dans mes bras me manquait. Une autre source d’énergie importante dans ce voyage a été le lever du soleil tous les matins , .je l’attendais avec impatience, comme s’il me disait Tu n’es pas mort.. Mon voyage n’est pas encore achevé mais assurément il y aura un avant et un après AVC. Je continue à découvrir mon corps et je me vois aujourd’hui en mesure de parcourir les terres Mongoles. C’est certainement dans ces grands espaces que je formulerai l’épilogue de cette aventure inattendue au centre de mon être.. Et peut-être finirai-je par découvrir ce que je suis.