Texte inédit de Patrick Touzet – ECRIRE EN TERRE DE PSYCHIATRIE
Retrouvez en exclusivité un texte inédit de Patrick Touzet auteur de Chronique d’un psychiatricide.
Bonne lecture !

PSYS, IL EST URGENT DE PRENDRE LE TEMPS D’ECRIRE
A l’ère de la performance
La psychiatrie est malmenée, elle souffre d’un manque chronique de moyens, qu’ils soient financiers ou humains. Dans cette époque obscure, enjoindre les psys à écrire, pourrait ressembler à une farce. Mon propos est pourtant tout ce qu’il y a de plus sérieux, même s’il apparait dérisoire, au regard des enjeux actuels, du moins ceux que l’on assène aux soignants. Il faut être efficace, pragmatique, performant… Nous sommes désormais sous le joug des managers, qui eux, savent comment nous devons soigner en psychiatrie, pourtant face à cette infamie, peu de soignants réagissent, ils ont, (pas tous heureusement) lâché l’affaire. Le culte de la performance est sociétal, la psychiatrie étant perméable à l’air du temps, les retombées sont conséquentes pour l’exercice clinique. Il en va en effet des modèles conceptuels dont on se sert pour penser le soin et pour soigner. Les neurosciences ont le vent en poupe, elles vont permettre de soigner tous les troubles mentaux, les références à la psychanalyse et, au soin par la parole relèvent selon les psys dans l’air du temps, tout au plus du folklore. Ces derniers se réfèrent à la science, à du sérieux ! Pourtant, ainsi que le démontre François Gonon, chercheur en neurosciences, à ce jour, malgré les avancées de la recherche, il n’y a pas de retombées significatives pour les patients. Ce n’est pas dire que les neurosciences sont inutiles mais, c’est affirmer que nous gagnerions à être plus humbles. Les cliniciens de la psy font au mieux avec les données des sciences, qu’elles soient du domaine des neurosciences ou des sciences humaines, ils font avec ce qu’ils sont car l’outil principal du soin… c’est le soignant.
Du complexe au compliqué
Est-il de soin de rappeler que l’homme est un être bio-psycho-social ? Négliger l’un de ces aspects revient à nier l’humain au nom d’une idéologie du soin.
La prééminence des neurosciences amène à assimiler la psyché au cerveau, ainsi il n’y aurait que les psychotropes qui auraient une utilité sur les troubles psychiques, le reste serait du « blabla », des réminiscences d’une époque révolue. Ainsi le soin se réduit à l’administration de médicaments psychotropes, associée éventuellement à un module d’éducation thérapeutique et, le tour est joué. C’est aussi simple que l’homme est complexe, mais pour les psys « branchés », l’homme n’est pas complexe, il est compliqué. Pour eux, l’homme se décompose en appareils, qu’il s’agit de réparer lorsqu’ils dysfonctionnent. Le philosophe Miguel Benasayag parle alors de l’homme modulaire, il nous invite pour sa part à appréhender l’homme dans sa globalité, dans un environnement, en situation.
Les cliniciens qui n’ont pas laissé leur humanité au vestiaire, qui n’ont pas troqué celle-ci contre une blouse blanche, attribut désormais indispensable pour travailler en psychiatrie, doivent trouver des ressources pour penser dans ce milieu hostile, où c’est l’habit qui fait le moine. Comment résister pour soigner, pour faire son job ? Gilles Deleuze nous enseigne dans son Abécédaire, que créer c’est résister, pour lui un certain motif de l’art et de la pensée, c’est une certaine honte d’être un homme. S’il se réfère à Primo Lévi et, à l’horreur des camps, il existe aussi dit-il, une petite honte d’être un homme, face à des évènements minuscules de la vie.
La honte d’être un psy
Les psys qui œuvrent dans les institutions sont quotidiennement confrontés à de tels évènements, insupportables à la longue, qu’il s’agisse d’accorder plus de poids aux procédures qu’aux patients par exemple ou encore de faire sortir un patient hospitalisé, alors qu’il n’est pas stabilisé pour faire de la place… La liste pourrait être malheureusement longue.
Ainsi il y a de quoi avoir honte, il y a de quoi nourrir cette nécessité sans laquelle Deleuze nous dit qu’on n’écrit pas. Ecrire en terre de psychiatrie, c’est résister à la honte d’être un psy dans la situation qui est la nôtre.
Mais, écrire c’est aussi s’engager dans une autre temporalité que celle de l’institution, c’est une façon de prendre le temps, de ne plus être happé par une spirale, c’est une manière de recoller à notre humanité. Lorsque l’on ose une autre temporalité cela nous soutien dans notre mode d’être soignant. Être soignant en psychiatrie cela nous convoque à accepter qu’il faille faire un pas de côté, pour ne pas être dans une temporalité qui fait fi de l’humain, une temporalité sous le joug des managers et des logiciels informatiques. Mais, cela nous engage également à ne pas nous laisser embarquer dans une a-temporalité, qui est parfois au rendez-vous lorsque nous sommes confrontés à des pathologies mentales du registre de la psychose.
Bien sûr, écrire n’est ni une obligation, ni la panacée. L’écriture est un outil qui nous aide à penser le soin, à déplier une pensée pour soigner. Ecrire est une aide pour ceux qui défendent une psychiatrie à visage humain. Ecrire permet également de relier les soignants entre eux, de les relier aux autres. Ecrire peut alors participer à former des réseaux de résistance, ce qui au regard de l’ampleur du désastre relève d’une urgence.