Entretien avec Laurent Delinthe – Coming out

Entretien avec Laurent Delinthe – Coming out

Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?

Mon sentiment lors de la parution de mon livre a été un mélange de soulagement et d’appréhension. Le soulagement de voir des années de travail se concrétiser, et l’appréhension de l’accueil qui lui serait réservé. Des questions banales surgissent : « Suis-je légitime à occuper cette place ? A la hauteur de la confiance qui m’est accordée ? » sont les principales, auxquelles je ne peux répondre avec assurance.

Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?

Je n’ai pour l’instant eu aucun retour de lecteurs « neutres », c’est-à-dire en dehors de la sphère privée de la famille, des amis ou des collègues de travail, toutes personnes qui, me connaissant, ont exprimé un avis faussé par l’intimité plus ou moins grande qui nous liait précédemment. Je reste donc prudent face à ces retours dans l’ensemble favorables.

Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?

L’enseignement principal que je retire de cette expérience est que l’instant où on referme le stylo ne marque pas la fin du travail d’écriture. Il y a bien sûr la recherche d’un éditeur, mais aussi la difficulté à se faire connaître/accepter des libraires et des milieux littéraires une fois l’ouvrage publié. Etant peu à l’aise à l’oral, les séances de dédicace et les participations à des salons sont des épreuves, certes enrichissantes, mais qui demandent un investissement réel en soi. L’immédiateté de la parole, mise en regard du temps dilué de l’écriture, demande un véritable effort auquel je ne m’attendais pas. Quoi qu’il en soit, la satisfaction apportée reste l’élément principal qui ressort de ces rencontres.

Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?

Je ne sais que répondre à cette question, car je ne prétends pas à une originalité particulière. J’avais en tête un thème (le temps et ses effets, les modifications qu’il induit en ce qui concerne nos réflexions et nos comportements) et je me suis attaché à ce que chaque scène apporte un éclairage sur l’évolution du personnage principal. Cette notion de temps qui passe, qui nous modifie plus ou moins à notre insu ainsi que notre capacité -ou non- à reconnaître et accepter -ou pas- le changement, n’est pas originale. Les échos que j’ai récoltés lors de séances de dédicaces m’ont cependant montré que l’exploration de ce thème recueillait une adhésion certaine chez de nombreuses personnes.

Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?

Lorsqu’on a demandé à Roland Orzabal, chanteur de Tears for Fears, comment il s’y prenait pour créer, reconnaître parmi les idées qui lui venaient celles qui valaient la peine d’être développées, il a répondu en substance qu’il savait être dans le vrai dès lors que cela devenait une obsession. Je fonctionne de la même façon. L’idée, l’étincelle de mon roman est née un soir d’avril 2002, suite au résultat du premier tour de l’élection présidentielle. Je me suis demandé pourquoi des personnes retranchées derrières des barricades en 1968, ou ayant voté Mitterrand en 1981, adhéraient désormais aux thèses de l’extrême droite. Qu’avaient-ils vécu pour emprunter cette trajectoire ? Cette évolution était-elle « normale », inquiétante, réservée à certaines personnes ?… Les questions étaient nombreuses. Je voulais construire un récit plus vaste et général qu’une pure analyse politique, pour laquelle je me sentais de toute façon peu armé ; j’aspirais à un état des lieux, et non un livre moralisateur de quelque façon que ce soit. Je me suis donc laissé le temps de la réflexion. J’y ai pensé pendant des années, alors même que je travaillais sur d’autres projets. J’ai réfléchi, laissé faire les choses, vieilli… jusqu’au jour où la façon dont je voulais raconter l’histoire est devenu évidente. Les autres récits que j’ai écrits ont été conçus de la même façon. Pour ce qui concerne la rédaction proprement dite, je n’ai pas de rituel, lieu, objet, ambiance particulière nécessaires à la création. Il y a simplement des moments où… c’est le moment, parce que les idées et les mots sont là, alors je me mets au travail, dans la mesure où mon emploi du temps, mes vies sociale et familiale, sont en adéquation. Ce n’est bien sûr pas toujours le cas, ce qui fait qu’il se produit des périodes plus ou moins longues où je ne progresse pas.

Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?

L’envie, le besoin de lire et d’écrire m’accompagnent depuis l’adolescence. Je continuerai donc tant que cela aura pour moi un sens. Mon thème de prédilection, dont je n’ai pris conscience qu’assez récemment, est donc le temps. Celui qui passe, qui reste ; ce qu’il nous apporte et nous enlève, ce qu’il fait de nous… Je travaille actuellement sur une histoire courant du début des années 80 jusqu’à la moitié des années 2040. Il ne s’agit pas d’un récit de science fiction mais de l’observation des relations amoureuses entre deux personnes tout au long de leur existence, et ce au travers de leurs échanges de lettres, SMS, conversations téléphoniques, enregistrements audio, vidéos, photos, dessins… toutes sortes de traces matérielles qui subsistent une fois que les êtres qui les ont produites ont disparu. De rares échanges entre personnes ayant côtoyé les « disparus » complètent leur portrait, sous la forme de l’empreinte qu’ils ont laissé dans la façon de se construire de ces descendants.

Laurent Delinthe, auteur de Coming out, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.