Entretien avec Philippe Guérin – Des rives du Mékong à celles du lac Kivu

Entretien avec Philippe Guérin – Des rives du Mékong à celles du lac Kivu

Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?

Mon texte n’était pas destiné à être publié mais a été écrit pour mon cercle familial et quelques amis. J’ai beaucoup réfléchi lorsque quelques uns de ces derniers m’ont vivement encouragé à le faire publier. L’un d’eux avait publié plusieurs ouvrages, dans la veine philosophique, aux Editions Maïa. J’ai fini par céder et cet ami en particulier m’a aidé dans ma démarche. Cependant je me suis lancé dans l’aventure sans véritable enthousiasme. Je n’étais pourtant pas blasé puisque je n’avais encore jamais été publié et n’avais d’ailleurs jamais rien écrit. Evidemment la parution du livre a été une grande satisfaction, non pas d’amour propre ( sans fausse modestie) mais plutôt parce que je pensais que j’avais des choses à apprendre aux lecteurs.

Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?

J’ai eu des retours très positifs (mais sans doute les lecteurs plus tièdes ont-ils préféré s’abstenir de commentaires). Certains lecteurs ont lu le livre comme un roman d’aventures, ce qu’il n’est évidemment pas. Mais, de mon point de vue c’était tout aussi bien. L’un d’eux, que je connais bien, m’a dit de façon gentiment ironique qu’en me voyant on avait du mal à imaginer que j’aie pu faire tout ça. Je n’ai en réalité pas fait grand chose mais mon métier de diplomate m’a simplement placé dans des situations sortant de l’ordinaire et m’a fait vivre des moments importants dans la vie de certains pays. Des lecteurs m’ont dit avoir apprécié mon honnêteté intellectuelle et ma complète liberté de jugement aussi bien à l’égard de mon ministère, que de l’armée, de la police, etc..et surtout mon refus absolu de céder au politiquement correct et de cacher certains sujets qu’il est devenu de bon ton d’éviter ou de travestir dans certains milieux “intellectuels” ( par exemple quand je cite la remarque humiliante, se référant au passé d’esclavage des Noirs des Amériques, faite par un chauffeur nigérien de l’ambassade de France à Niamey au passage de ma femme, Noire jamaïquaine, ou bien celle d’un collègue diplomate africain exprimant sa fierté du passé esclavagiste de sa famille). J’ai essayé de relater sans fard les faits dont j’ai été témoin ou partie prenante. Une lectrice un peu spéciale, ma plus jeune fille, m’a d’ailleurs reproché d’avoir dénoncé sans retenir ma plume, la violence extrême qui affligeait la Jamaïque alors que c’était le pays de ma femme, sa mère. Un lecteur s’est demandé si j’avais eu raison de rapporter des faits personnels et événements familiaux ( mon mariage, la naissance de mes enfants). Je me suis moi-même beaucoup interrogé pour savoir si je devais conserver les passages en question dans le texte devant être publié. J’en ai gardé certains, supprimé d’autres… Il m’a semblé qu’un diplomate n’était pas hors sol et que raconter les péripéties de sa vie dans des pays très différents ( Vanuatu et Australie par exemple) rentrait bien dans mon sujet.

Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?

J’étais, comme je l’ai dit, sans aucun antécédent en matière d’édition. L’expérience que j’en retiens est d’ordre très pratique. En effet, j’ai constaté, une fois le texte publié, que certaines pages étaient trop denses, sans aucune aération et sans paragraphes nettement séparés. Ceci en rend la lecture difficile et pénible. Ceci n’apparaissait pas sur mon écran d’ordinateur, avec des caractères beaucoup plus gros et beaucoup plus lisibles. C’est une chose à laquelle je serai particulièrement attentif si je me lance à nouveau dans l’écriture. Heureusement cette remarque ne concerne que certains chapitres du livre, la plupart étant bien aérés et de lecture facile.

Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?

Mon livre peut être vu par certains, qui ne l’ont pas lu, comme un énième livre de diplomate. Je voulais au contraire m’en démarquer et certains retours me montrent que cette originalité n’a pas échappé à certains lecteurs. L’ouvrage n’a rien à voir avec celui que peut écrire un ministre des affaires étrangères, une fois retiré des affaires, ou même un ambassadeur dans un grand poste comme Washington, Pékin ou Moscou. La grande politique internationale, la géopolitique, ne sont pas mon propos. Mon but est de montrer la vie de ceux qui participent sur le terrain à notre politique étrangère en récoltant des informations, rédigeant des télégrammes, menant des démarches diverses, assurant le rayonnement de notre pays, se battant pour la défense et la protection de nos compatriotes.. Un diplomate, c’est beaucoup une sorte de journaliste qui n’a toutefois pour lecteurs que les services du ministère des affaires étrangères, et selon le cas d’autres ministères, ainsi que l’Elysée et l’hôtel Matignon, et enfin qu’un certain nombre de nos ambassades intéressées par le sujet. Mais c’est donc aussi beaucoup d’autres choses. Et mon propos n’est nullement de faire le panégyrique de nos diplomates. Certes, notre personnel diplomatique a une réputation d’excellence mais sur le terrain les choses sont quelquefois plus compliquées et tout le monde n’est pas exemplaire. La vie d’une ambassade peut être rendue difficile par des problèmes de personnalités ou de comportements. C’est la vie et c’est une réalité avec laquelle il faut compter.

Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?

Mon travail d’écriture a été certainement facilité par ce fait que je viens de citer, à savoir la grande part d’écriture dans le travail diplomatique. La France a une longue tradition diplomatique, a pesé à certains moments sur l’histoire du monde et a un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations-Unies, ce qui lui confère un statut de grande puissance. Elle doit pouvoir être informée de tout et pouvoir valablement se prononcer sur tout. Elle ne peut baser sa politique étrangère sur la lecture du Monde et du Figaro, ou bien sur BFM Tv ou CNN. Ses ambassades sont là pour accomplir ce travail partout et à longueur d’année. Restait toutefois la question du style. Le mien a été très influencé par un de mes ambassadeurs, ancien de la France coloniale et passé par le cabinet de Jacques Chirac lorsque celui-ci était Premier Ministre. C’était ma quatrième ambassade et son style était très différent de celui de mes ambassadeurs précédents. Percutant, incisif, avec des phrases courtes. Au début ceci m’a désorienté et ne m’a guére plu. Et puis j’en ai compris peu à peu tout l’intérêt et ai fini par m’en inspirer. Bien entendu on peut y préférer un style plus classique, plus diplomatique, du moins tel que les gens l’imaginent. Mais point trop n’en faut dans ce style là. J’ai relu il y a quelques années les mémoires d’un de nos grands ambassadeurs de la première moitié du XXème siècle. Ses phrases quelquefois interminables rendaient certains passages du livre presque impossibles à lire. S’agissant des informations et faits relatés dans le livre, le fait de n’avoir jamais rédigé de carnet personnel ni consigné les faits dont j’étais témoin, m’a obligé à piocher profondément dans ma mémoire mais aussi à consulter un certain nombre d’ouvrages pour retrouver une date ou bien un nom. Des amis, connus en poste, ont aussi pu m’aider à suppléer ma mémoire défaillante.

Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?

Des lecteurs m’ont demandé si j’avais écrit d’autres livres ou bien si je comptais en écrire d’autres. C’était un joli compliment car ils étaient désireux de se les procurer. C’est une chose qui m’a fait plaisir. L’un d’eux m’a même conseillé d’écrire des romans policiers, genre auquel je n’aurais certainement pas pensé. J’avoue que l’envie pourrait me venir un jour d’écrire un nouveau livre. Mais il faudrait qu’un sujet s’impose à mon esprit, que je ressente le besoin d’écrire sur un thème particulier. Il faut que les choses mûrissent.

Philippe Guérin, auteur de Des rives du Mékong à celles du lac Kivu, disponible sur le site des Éditions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.