Texte inédit de Patrick Touzet – LA SANTE MENTALE GRANDE CAUSE NATIONALE : VOLONTE POLITIQUE OU ESBROUFFE ?

Retrouvez en exclusivité un texte inédit de Patrick Touzet auteur de Chronique d’un psychiatricide.

Bonne lecture !

La santé mentale grande cause nationale en 2025

La santé mentale a été décrétée grande cause nationale pour l’année 2025.  Cette décision ne peut que réjouir chaque citoyen, de qui plus est lorsque celui-ci souffre de troubles mentaux. Ceux qui fréquentent l’institution psychiatrique, qu’ils soient soignés ou soignants, ont été ces dernières années les témoins de la dégradation de ce dispositif. Les services hospitaliers sont « surencombrés » et l’on ne peut plus véritablement parler de soin.  A ce jour, l’hôpital psychiatrique fonctionne comme l’asile dans lequel prédominait le gardiennage. Les services de soins extrahospitaliers sont également saturés, les délais d’attente pour un suivi dans un centre de consultation étant le plus souvent décourageants. Face à ce constat consternant, que penser de cette annonce gouvernementale. Demain l’accès aux soins va-t-il être considérablement modifié ? La psychiatrie parent pauvre de la médecine, va-t-elle voir ses moyens augmentés ? Les soignants en psychiatrie vont-ils se multiplier ? Cela tiendrait d’une véritable révolution, voire d’un miracle. 

Le soin en psychiatrie, une affaire politique

Sans augurer de la mauvaise foi de nos décideurs, je ne peux m’empêcher de douter. Il importe donc d’examiner de plus près ce projet gouvernemental, afin d’apprécier s’il existe une réelle volonté de changement ou si une fois de plus, c’est juste un effet d’annonce, de l’esbrouffe. Au-delà des malades mentaux, de ceux qui souffrent, ce projet concerne notre société dans son ensemble. Ainsi que l’écrivait Lucien Bonnafé, peu de temps avant la 2e guerre mondiale : On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses fous.  Ce psychiatre avait vu juste, car pendant la 2e guerre mondiale, 40 000 malades mentaux sont morts de faim dans les asiles français. Un autre psychiatre, Max Lafont, a qualifié cet épisode « d’extermination douce », au regard de l’euthanasie des malades mentaux en Allemagne, durant cette même période, dans le cadre de l’Aktion T4. Le régime nazi considérait que les vies des malades mentaux étaient sans valeur, indignes d’être vécues. Le propos de Lucien Bonnafé mérite d’être rappelé, le soin en psychiatrie est non seulement clinique mais il est également politique.

Avons-nous tiré des leçons de cette période sombre de notre histoire ? Ce qui est certain c’est que les malades mentaux ont désormais des droits comme tout citoyen. Malgré cette avancée notable, peut-on pour autant se satisfaire de la situation actuelle ? Le nombre de malades mentaux en prison, de ceux qui sont livrés à eux-mêmes, qui sont à la rue, est-il acceptable ? J’ai évoqué dans un ouvrage récent un véritable « psychiatricide », une mise à mort de la psychiatrie, discipline médicale qui a pour vocation de soigner ceux qui souffrent de maladies mentales. 

Psychiatrie ou Santé Mentale

Je m’étonne de l’ambition gouvernementale qui au-delà de la psychiatrie entend développer la santé mentale. Quid de la faisabilité d’un tel projet ? La Santé mentale, ce n’est pas la psychiatrie, même si par un effet de mode, on utilise souvent l’expression santé mentale en lieu et place du vocable de psychiatrie. Selon l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), la santé mentale correspond à un état de bien-être qui nous permet de face aux sources de stress de la vie…

La santé mentale est une notion assez proche de celle de bonheur. Pour ma part, je trouve inquiétant que nos décideurs puissent s’occuper voire décréter en quoi je pourrais être heureux. Néanmoins, j’attends de ces derniers, qu’ils fassent en sorte que ceux qui souffrent de troubles mentaux puissent bénéficier de soins dignes. Pour le dire autrement il faudrait déjà que la psychiatrie puisse prendre en charge ceux qui ont besoin de soins, avant de s’occuper du bien-être de l’ensemble de la population. 

En quoi consiste précisément ce projet gouvernemental ? Quatre objectifs prioritaires sont énoncés explicitement :

  • La déstigmatisation, afin de changer le regard des français sur les troubles psychiques et les troubles mentaux.
  • Le développement de la prévention et du repérage précoce, par la sensibilisation et la formation dans toutes les sphères de la société.
  • L’amélioration de l’accès aux soins portant sur le territoire français, par la gradation des parcours, le développement des nouveaux métiers de la santé mentale en veillant aux soins des personnes les plus fragiles et présentant les troubles les plus complexes.

Rien de nouveau

L’ex infirmier en psychiatrie que je suis, hésite entre le rire et la colère ! Ce propos racoleur, consiste tout bonnement à réinventer l’eau chaude, rien d’original ni de neuf par rapport à la sectorisation. La sectorisation ou politique de secteur, c’est l’organisation des soins qui prévalait dans notre pays avant d’être mise à mal par les technocrates de tous bords depuis une trentaine d’années.  

Je ne voudrais pas me poser en donneur de leçons, surtout face à des technocrates experts en méthodologie, mais il existe un manque majeur, en l’occurrence, une analyse de l’existant. Une question devrait déjà être posée : « Pourquoi les malades mentaux n’ont-ils pas ou plus accès à des soins dignes lorsqu’ils en ont besoin ? ». Sinon à quoi bon s’évertuer à déstigmatiser les troubles mentaux ! Il faudrait également questionner non seulement le manque d’attractivité de la psychiatrie pour les soignants, mais également la fuite de ceux-ci. Ce dont il est question, c’est de la faillite de l’institution psychiatrique ainsi que de la responsabilité des gouvernants successifs pour que nous en soyons arrivés à cette situation catastrophique. Ce n’est certainement pas par un coup de communication que la situation va s’arranger. En fait, notre contexte n’est pas plus reluisant que celui qu’Albert Londres décrivait au début du siècle dernier, dans son livre « Chez les fous ».  Il concluait son ouvrage ainsi : Notre devoir n’est pas de nous débarrasser du fou, mais de débarrasser le fou de sa folie. Ce devoir est plus que jamais d’actualité.

1. Max Lafont, L’extermination douce, La cause des fous, Editions Le Bord de l’eau.

2. Patrick Touzet, Chronique d’un psychiatricide, Réflexion(s) d’un infirmier qui fait le cadre, Editions Maïa.

3. Albert Londres, Chez les fous, Editions Le serpent à plumes.