Entretien avec Ali Kasmi – Le p’tit Roumi

Entretien avec Ali Kasmi – Le p’tit Roumi

Quel a été votre sentiment quand votre livre est paru ?

Notre égo nous enferme dans une image de nous qui n’est pas nous, mais qui est le résultat de ce que la société a fait de nous surtout quand elle se joue de nous…

Quand mon livre est paru, surtout lorsque je l’ai tenu entre mes mains, j’ai éprouvé un sentiment étrange mêlé de fierté… et de douleur incontrôlée. J’avais tenu parole, respecté la promesse que je m’étais faîte quand j’avais dix ans, d’écrire, de raconter mon histoire, le jour où ma belle-mère m’humiliant une fois de plus, s’était moquée de moi parce que j’avais dit : « Je suis confus ». Un instinct d’effroi, une volonté irrépressible de fuir la médiocrité, la bêtise, la vulgarité, de dépasser ma tristesse, mes peurs, mes colères m’a submergé. Ecrire pour crier mon impuissance, ma rage, mon désespoir et le vide…, – « Il est des mots comme des cris de terreur ! » – mais aussi, au fil du temps, pour garder mémoire de cette enfance au bistrot de mon père, kaléidoscope intérieur de la diversité, des différences, des antagonistes, des cassures et des reconstructions ouvrant sur le monde qui vous donne à affronter la vie, comme on peut, surtout pour un p’tit Roumi malmené…

Quels ont été les retours des premiers lecteurs ? Que vous ont-ils dit sur votre livre ?

Je ne peux que citer des extraits des courriers que j’ai reçus :

« … Le p’tit roumi nous prend par le bout du cœur pour nous emmener avec lui dans le monde de la violence banale du quotidien vécue par un enfant différent par ses origines, son milieu, sa fragilité, sa sensibilité, sa quête affective, son désespoir.  Mais également une vie pleine de belles rencontres, d’émotions, de lumières fugaces et de moments de grande humanité. Un entremêlement de petites joies et de grandes peines, de clartés et d’obscurités, de soumission et de sourde révolte, d’envie de disparaître et d’obstination à vouloir vivre. Un exemple de résilience écrit dans un style entre prose et poésie, aux sonorités ondulantes des mots, des jeux de mots et des formules imagées. Un livre qui se lit comme un film. »

« Un style très personnel et coloré, d’une très grande richesse par les mots et le sens des formules… »

« L’originalité tient à la spontanéité, la franchise et l’humanité qui se dégagent de cette autobiographie qui fait souvent passer du rire aux larmes. » 

« Une écriture relativement cinématographique, un peu comme un scénario, ce qui fait que l’on peut aisément visualiser et se représenter les scènes décrites … »

« Cette histoire est celle d’une communauté et de l’un de ses enfants qui, contre toute attente, devient un vrai et authentique citoyen, ce qui contraste avec le prêt à penser d’une société qui prône plutôt l’exclusion des différences. »

« … J’ai été impressionné par le lexique (et c’est un prof de lettres qui parle !) et par ta culture, qui touche à de nombreux domaines (en chanson, tu en connais un rayon et tu aimes Brel comme moi), j’ai été touché par ta pudeur extrême pour raconter une histoire assez terrible, sans porter de jugement définitif sur quiconque, même ceux qui ne t’ont pas épargné. J’ai reconnu là le respect des autres que tu as toujours manifesté et ta retenue extraordinaire. Ton livre est très émouvant.
Je voudrais aussi souligner la beauté des pages que tu consacres à Françoise : on ne peut lui rendre plus bel hommage que les mots que tu as choisis…. »

« … Par le vécu des situations auxquelles tu as été confronté, par les expressions et les mots employés, qui nous prennent à la gorge, ce récit est un appel à la réalité. En effet, tu nous assènes des comportements humains que notre conscience, la plupart du temps, survole sans en approfondir la portée … »

« La naissance ne saurait être qu’un acte biologique : il peut nous arriver de choisir ses parents – Naître, c’est alors semer ses géniteurs – Non pas tuer le père, mais tuer en nous le fils. Chercher, trouver d’autres parents spirituels. Mais naître spirituellement, renaître à soi -même, n’est pas à la portée du premier venu… »

A évoquer tes souvenirs, avec en toile de fond l’histoire collective : évènements politiques, allusions cinématographiques, paroles de chansons dont les mélodies nous reviennent en mémoire, tu nous fais entrer dans ton histoire, ramenant aussi notre pensée à nos propres souvenirs … »

Que retenez-vous de cette expérience d’édition par rapport à votre travail d’écriture ? En avez-vous tiré des enseignements ?

Quand on écrit, on est plongé dans un univers particulier et on ne pense pas vraiment à l’après. Il y a un grand décalage entre la rédaction de son ouvrage et sa publication. L’écriture vous appartient, la production vous échappe. Pourtant, si vous voulez que votre livre soit lu, connaisse une audience intéressante, sa promotion est essentielle. Et il est difficile d’appréhender les méandres de l’édition…

Quelle est l’originalité de votre livre selon vous ? A-t-elle été perçue par vos premiers lecteurs ?

« Je ne suis pas de nulle part, je suis de partout ! »

« Je vous fais parvenir le râle d’un enfant qui donne toute la « chair » à ce passé rudoyé ! »

Au-delà de la détresse de cet enfant malmené, je suis persuadé que ce qui retient l’attention, c’est notamment la singularité du parcours de ce p’tit roumi, ce sang mêlé qui s’est construit en métissage dans un univers coloré, nourri par la tradition orientale et la modernité européenne, puisant dans le terreau de la diversité, des contradictions et des paradoxes… Avec en toile de fond l’histoire collective de notre pays : évènements politiques, allusions cinématographiques, paroles de chansons… qui viennent pimenter le tout sous le regard et l’appréciation de deux communautés, l’une française, l’autre maghrébine.

Les lecteurs sont aussi souvent revenus sur l’écriture au style très personnel, entre prose et poésie, aux sonorités ondulantes, aux formules imagées.

Comment s’est passé votre travail d’écriture ? Avez-vous une méthode pour écrire ? Des rituels ou des astuces ?

Je dirais que mon travail d’écriture a été exaltant. Déjà, au-delà de l’histoire, j’aime la langue française, la richesse de son vocabulaire, sa musicalité ; je prends plaisir à jouer avec les mots, avec les tournures de phrases, avec leur rythme. Dans la construction de mon récit, je pose les thématiques que je veux traiter et ensuite je laisse courir ma plume sur le papier. Dans un second temps se façonnent mes chapitres qui prennent leur place, pierre après pierre, qui s’articulent peu à peu. Enfin, je les reprends à nouveau un à un et j’affine, je désépaissis, je sculpte…, enfin, j’essaie.

Envisagez-vous d’écrire un autre livre ? Si oui, sur quoi avez-vous envie d’écrire pour ce prochain livre ?

Je me suis remis devant ma table de travail et j’ai commencé la rédaction d’une nouvelle histoire qui porte sur l’homme et son devenir, sa lutte incessante pour la vie, et envers et contre tout, sur l’espoir qu’il porte en lui de vaincre sa folie intérieure pour toujours plus d’humanité…

Ali Kasmi, auteur de Le p’tit Roumi, disponible sur le site des Editions Maïa. Cliquez ici pour le découvrir.