Texte inédit de Jean-Pierre Andriot – Homo Mobilus
Retrouvez en exclusivité un texte inédit de Jean-Pierre Andriot auteur de Drôle d’époque.
Bonne lecture !

Homo Mobilus
Homo Mobilus
« Passer un coup de fil », cette expression désuète Est tombée, semble-t-il, au fond des oubliettes, Ce bon vieux Graham Bell en a pris bien des rides Depuis qu’à ses appels on a ôté leurs brides.
Qui se souvient encore des anciens téléphones ? Comme les dinosaures ils ont cédé leur trône, Chassés par les mobiles qui en prenant leur place Ont au vieux coup de fil donné le coup de grâce.
Pour l’homo Mobilis, toujours en mouvement, Il fallait que l’on puisse le joindre à tout instant, Ce créneau prometteur de gains très substantiels Trouva vite preneur chez les industriels.
Les mobiles à l’époque ne tenaient pas en poche, Plutôt lourds et mastoc, ils étaient même moches, Fixe ou bien rétractable, l’antenne récepteur Faisait de ces portables aussi des émetteurs.
Pas vraiment esthétiques et assez encombrants, Les portables, pratiques, s’imposent cependant, Comme le téléphone, leur unique fonction C’est mettre les personnes en communication.
Les clients exigeants le souhaitent plus compact Et plus intelligent, plus performant, plus « smart », Cette nouvelle donne, avec ses exigences, Fait que les téléphones changent alors d’apparence.
Plus de claviers antiques, épais et boutonneux, Des écrans numériques, fins, moins volumineux Et des pavés tactiles aux multiples fonctions Qui rendent plus facile la numérotation.
Ce qui tout au début n’était qu’un téléphone Est vite devenu pour tout faire une bonne, Un planificateur et un ordinateur,
Un lecteur, un compteur qui en plus donne l’heure !
Bourré d’applications qui dans tous les domaines Trouvent des solutions au moindre des problèmes, Le mobile permet, en plus d’être joignable, De ne pas s’enfermer, attaché à un câble.
Au début juste utile, pratique, le portable Est devenu mobile et donc indispensable,
Du matin au réveil aux portes de la nuit,
Greffé sur une oreille, en tous lieux il nous suit.
Il nous a envahis, occupe tout l’espace,
Au travail, même au lit, au café, en terrasse, Au restaurant il trône sur un coin de la table, Et si jamais il sonne, très peu l’envoient au diable.
De nos jours les mobiles ont tant d’applications Qu’on perd souvent le fil de toutes leurs fonctions, En fait on n’utilise dans la vie quotidienne Que celles qu’on maitrise et qu’on apprend sans peine.
La vague des portables a submergé nos vies, Puissante, incontrôlable tout comme un tsunami, Elle a sur son passage englouti sans pitié
Des objets dont l’usage a été oublié.
Les appareils photos, les baladeurs CD,
Les lecteurs vidéo ont dû un jour céder,
Vaincus et supplantés par tous ces téléphones Bourrés de qualités qu’on appelle smartphones.
Un portable à la main on peut presque tout faire, Retrouver son chemin, payer des frais bancaires, Jouer en ligne à plusieurs ou bien en solitaire, Pour bien des joueurs d’ailleurs ça devient un enfer.
De l’enfant à l’adulte, en passant par l’ado, Bien des gens vouent un culte à ce dieu tout nouveau, Si tout ça continue bientôt on pourra voir A chaque coin de rue des statues à sa gloire.
L’être humain aujourd’hui a changé d’apparence, La greffe qui a pris lui change l’existence, Une excroissance moche lui boursouffle l’oreille Ou fait gonfler la poche qui contient l’appareil.
Après l’enterrement de « Sapiens », « d’Erectus », Voici l’avènement de « l’homo Mobilus », Pas vraiment plus malin que ses glorieux ancêtres, Mobilus d’une main leur a ôté leur sceptre.
Complètement accros et très influençables, Les Mobilus ados dégainent leurs portables Pour cracher par rafales des propos insultants Et monter des cabales contre des innocents.
Pour les adolescents un monde sans portable, Ne fut-ce qu’un instant, ne serait pas vivable, Comme il est à l’école condamné au sommeil, Dès qu’il en sort il colle à nouveau à l’oreille.
Jaillissant des cartables comme d’une prison, On entend les portables sonner à l’unisson, Ils appellent un copain qu’ils viennent de quitter Pour dire « tout va bien », rien d’autre à rajouter.
Un signe de la main aurait bien pu suffire Car souvent le copain est en ligne de mire Mais il est, semble-t-il, dans ce cas plus facile De charger le mobile de dire l’inutile.
Le Mobilus adulte, dans le pire fait mieux, Quand il met par l’insulte de l’huile sur le feu Au lieu de l’arrêter et de calmer un jeu Qui finit par coûter la vie de malheureux.
Le Mobilus accro aime se mettre en scène Et pour faire le beau n’est jamais à la traine, Avec des vidéos il soigne son image
Et pour leur faire écho peaufine ses messages.
Sur les réseaux sociaux les images défilent, Des selfies, des photos complètent les profils De gens insignifiants et dénués d’intérêt Qui se rendent brillants dans leurs autoportraits.
La tête toujours basse, inclinée vers l’avant, Mobilus se déplace sans regarder devant, Ses yeux restent rivés, fixés sur son portable, Il ne peut les lever, il en est incapable.
A l’oreille un long fil, il poursuit son chemin, Connecté au mobile qui prolonge sa main, Indifférent à tout, au monde qui l’entoure, Tous les autres il s’en fout, il avance toujours.
Lorsqu’il voyage en bus, en métro ou en train, On voit le Mobilus son portable à la main, Comme il est aussitôt sourd au monde extérieur, Il ne dit pas un mot aux autres voyageurs.
Entassés dans des rames bondées à éclater, Chacun sur son programme n’a rien d’autre à mater Que l’écran du mobile qu’il fixe du regard Comme un naufragé l’île où il a vu un phare.
Mobilus trop souvent n’a pas l’esprit tranquille, Sachant qu’à tout moment peut sonner son mobile, L’afflux dans ses oreilles de notifications Le maintient en éveil, toujours prêt à l’action.
Mobilus au volant répond au téléphone, Sans hésiter il prend l’appel dès que ça sonne, Il se désintéresse de la circulation,
Envoie des SMS ou alors y répond.
Il est dans sa voiture pour les autres un danger Quand, même à vive allure, il ne peut s’empêcher De fixer du regard l’objet de sa passion
Qui tout seul accapare toute son attention.
Mobilus a subi quelques transformations Causées par ses lubies et son évolution, En manque de débit ou bien de réception Il est pris de phobies qui tournent à l’obsession.
Quand son portable flanche et qu’il perd le contact Dans une zone blanche ou plus rien il ne capte, Il cherche sans arrêt la seule orientation Qui peut améliorer un peu la réception.
Mobilus peut souffrir de troubles obsessionnels Qui avec l’âge empirent et à d’autres se mêlent, Des gestes compulsifs dont il est inconscient, Un besoin maladif de toucher son écran.
Mobilus, sans portable, se sentirait tout nu, Fragile, vulnérable, complètement perdu, Quand sa batterie baisse et se montre anémique, Il sent monter le stress, il angoisse et panique.
Le pauvre Mobilus à vue d’œil dépérit
Quand frappe le virus de la nomophobie, Le pire mal qui soit pour cet être fragile Qui soudain s’aperçoit qu’il n’a pas son mobile.
Il est incontestable que l’homo Mobilus Est addict au portable dont il use et abuse, L’absence de maîtrise qui mène à l’addiction Le maintient sous l’emprise de l’objet en question.
Paradoxalement, son utilisation,
Tout en facilitant la communication,
L’emprisonne et l’enferme inexorablement A plus ou moins long terme dans son isolement.